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nication assez hypocritement faite par Cérizet de la concurrence qui l’attendait ; mais elle surprit bientôt chez son unique compositeur quelques indices d’une curiosité trop vive qu’elle voulut attribuer à son âge.

— Cérizet, lui dit-elle un matin, vous vous posez sur le pas de la porte et vous attendez monsieur Séchard au passage afin d’examiner ce qu’il cache, vous regardez dans la cour quand il sort de l’atelier à fondre les rouleaux, au lieu d’achever la composition de notre almanach. Tout cela n’est pas bien, surtout quand vous me voyez, moi sa femme, respectant ses secrets et me donnant tant de mal pour lui laisser la liberté de se livrer à ses travaux. Si vous n’aviez pas perdu de temps, l’almanach serait fini, Kolb en vendrait déjà, les Cointet ne pourraient nous faire aucun tort.

— Eh ! madame, répondit Cérizet, pour quarante sous par jour que je gagne ici, croyez-vous que ce ne soit pas assez de vous faire pour cent sous de composition ? Mais si je n’avais pas des épreuves à lire le soir pour les frères Cointet, je pourrais bien me nourrir de son.

— Vous êtes ingrat de bonne heure, vous ferez votre chemin, répondit Ève atteinte au cœur moins par les reproches de Cérizet que par la grossièreté de son accent, par sa menaçante attitude et par l’agression de ses regards.

— Ce ne sera toujours pas avec une femme pour bourgeois, car alors le mois n’a pas souvent trente jours.

En se sentant blessée dans sa dignité de femme, Ève jeta sur Cérizet un regard foudroyant et remonta chez elle. Quand David vint dîner, elle lui dit : — Es-tu sûr, mon ami, de ce petit drôle de Cérizet ?

— Cérizet ? répondit-il. Eh ! c’est mon gamin, je l’ai formé, je l’ai eu pour teneur de copie, je l’ai mis à la casse, enfin il me doit d’être tout ce qu’il est ! Autant demander à un père s’il est sûr de son enfant…

Ève apprit à son mari que Cérizet lisait des épreuves pour le compte des Cointet.

— Pauvre garçon ! il faut bien qu’il vive, répondit David avec l’humilité d’un maître qui se sentait en faute.

— Oui ; mais, mon ami, voici la différence qui existe entre Kolb et Cérizet ; Kolb fait vingt lieues tous les jours, dépense quinze ou vingt sous, nous rapporte sept, huit, quelquefois neuf francs de