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lecture de leurs ouvrages. En travaillant quelques heures de nuit, Cérizet gagna plus avec les frères Cointet qu’avec David Séchard pendant sa journée. Il s’ensuivit quelques relations entre les Cointet et Cérizet, à qui l’on reconnut de grandes facultés, et qu’on plaignit d’être placé dans une situation si défavorable à ses intérêts.

— Vous pourriez, lui dit un jour l’un des Cointet, devenir prote d’une imprimerie considérable où vous gagneriez six francs par jour, et avec votre intelligence vous arriveriez à vous faire intéresser un jour dans les affaires.

— À quoi cela peut-il me servir d’être un bon prote ? répondit Cérizet, je suis orphelin, je fais partie du contingent de l’année prochaine, et, si je tombe au sort, qui est-ce qui me payera un homme ?…

— Si vous vous rendez utile, répondit le riche imprimeur, pourquoi ne vous avancerait-on pas la somme nécessaire à votre libération ?

— Ce ne sera pas toujours mon naïf ? dit Cérizet.

— Bah ! peut-être aura-t-il trouvé le secret qu’il cherche…

Cette phrase fut dite de manière à réveiller les plus mauvaises pensées chez celui qui l’écoutait ; aussi Cérizet lança-t-il au fabricant de papier un regard qui valait la plus pénétrante interrogation.

— Je ne sais pas de quoi il s’occupe, répondit-il prudemment en trouvant le bourgeois muet, mais ce n’est pas un homme à chercher des capitales dans son bas de casse !

— Tenez, mon ami, dit l’imprimeur en prenant six feuilles du Paroissien du Diocèse et les tendant à Cérizet, si vous pouvez nous avoir corrigé cela pour demain, vous aurez demain dix-huit francs. Nous ne sommes pas méchants, nous faisons gagner de l’argent au prote de notre concurrent ! Enfin, nous pourrions laisser madame Séchard s’engager dans l’affaire de l’Almanach des Bergers, et la ruiner ; eh ! bien, nous vous permettons de lui dire que nous avons entrepris un Almanach des Bergers, et de lui faire observer qu’elle n’arrivera pas la première sur la place…..

On doit comprendre maintenant pourquoi Cérizet allait si lentement sur la composition de l’Almanach. En apprenant que les Cointet troublaient sa pauvre petite spéculation, Ève fut saisie de terreur, et voulut voir une preuve d’attachement dans la commu-