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sonnel pour unique loi. D’ailleurs, Cérizet, qui, selon l’expression populaire, devait tirer à la conscription l’année suivante, se voyait sans carrière ; aussi fit-il des dettes en pensant que dans six mois il deviendrait soldat, et qu’alors aucun de ses créanciers ne pourrait courir après lui. David conservait quelque autorité sur ce garçon, non pas à cause de son titre de maître, non pas pour s’être intéressé à lui, mais parce que l’ex-gamin de Paris reconnaissait en David une haute intelligence. Cérizet fraternisa bientôt avec les ouvriers des Cointet, attiré vers eux par la puissance de la veste, de la blouse, enfin par l’esprit de corps, plus influent peut-être dans les classes inférieures que dans les classes supérieures. Dans cette fréquentation, Cérizet perdit le peu de bonnes doctrines que David lui avait inculquées ; néanmoins, quand on le plaisantait sur les sabots de son atelier, terme de mépris donné par les ours aux vieilles presses des Séchard, en lui montrant les magnifiques presses en fer, au nombre de douze, qui fonctionnaient dans l’immense atelier des Cointet, où la seule presse en bois existant servait à faire les épreuves, il prenait encore le parti de David et jetait avec orgueil ces paroles au nez des blagueurs :  — Avec ses sabots mon Naïf ira plus loin que les vôtres avec leurs bilboquets en fer d’où il ne sort que des livres de messe ! Il cherche un secret qui fera la queue à toutes les imprimeries de France et de Navarre !…

— En attendant, méchant prote à quarante sous, tu as pour bourgeois une repasseuse ! lui répondait-on.

— Tiens, elle est jolie, répliquait Cérizet, et c’est plus agréable à voir que les mufles de vos bourgeois.

— Est-ce que la vue de sa femme te nourrit ?

De la sphère du cabaret ou de la porte de l’imprimerie où ces disputes amicales avaient lieu, quelques lueurs parvinrent aux frères Cointet sur la situation de l’imprimerie Séchard ; ils apprirent la spéculation tentée par Ève, et jugèrent nécessaire d’arrêter dans son essor une entreprise qui pouvait mettre cette pauvre femme dans une voie de prospérité.

— Donnons-lui sur les doigts, afin de la dégoûter du commerce, se dirent les deux frères.

Celui des deux Cointet qui dirigeait l’imprimerie rencontra Cérizet, et lui proposa de lire des épreuves pour eux, à tant par épreuve, pour soulager leur correcteur qui ne pouvait suffire à la