le boueux boulevard Bonne-Nouvelle, où elle stationnait au coin de la rue de la Lune.
— Que fais-tu ? dit Lucien épouvanté par les soupçons qu’il conçut à l’aspect de la Normande.
— Voilà vingt francs qui peuvent coûter cher, mais vous partirez, répondit-elle en coulant quatre pièces de cent sous dans la main du poète.
Bérénice se sauva sans que Lucien pût savoir par où elle avait passé ; car, il faut le dire à sa louange, cet argent lui brûlait la main et il voulait le rendre ; mais il fut forcé de le garder comme un dernier stigmate de la vie parisienne.
TROISIÈME PARTIE.
ÈVE ET DAVID.
Le lendemain, Lucien fit viser son passe-port, acheta une canne de houx, prit, à la place de la rue d’Enfer, un coucou qui, moyennant dix sous, le mit à Lonjumeau. Pour première étape, il coucha dans l’écurie d’une ferme à deux lieues d’Arpajon. Quand il eut atteint Orléans, il se trouva déjà bien las et bien fatigué ; mais, pour trois francs, un batelier le descendit à Tours, et pendant le trajet il ne dépensa que deux francs pour sa nourriture. De Tours à Poitiers, Lucien marcha pendant cinq jours. Bien au delà de Poitiers, il ne possédait plus que cent sous, mais il rassembla pour continuer sa route un reste de force. Un jour, Lucien fut surpris par la nuit dans une plaine où il résolut de bivouaquer, quand, au fond d’un ravin, il aperçut une calèche montant une côte. À l’insu du postillon, des voyageurs et d’un valet de chambre placé sur le siége, il put se blottir derrière entre deux paquets, et s’endormit en se plaçant de manière à pouvoir résister aux cahots. Au matin, réveillé par le soleil qui lui frappait les yeux et par un bruit de voix, il reconnut Mansle, cette petite ville où, dix-huit mois auparavant, il était allé attendre madame de Bargeton, le cœur plein d’amour, d’espérance et de joie. Se voyant couvert de poussière, au milieu d’un cercle de curieux et de postillons, il comprit qu’il devait être l’objet d’une accusation ;