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même long-temps nuisible s’il n’est accompagné d’un certain génie d’intrigue qui manquait absolument à Coralie. Prévoyant les souffrances qui attendaient son amie à son début au Gymnase, Lucien voulut à tout prix lui procurer un triomphe. L’argent qui restait sur le prix du mobilier vendu, celui que Lucien gagnait, tout avait passé aux costumes, à l’arrangement de la loge, à tous les frais d’un début. Quelques jours auparavant, Lucien fit une démarche humiliante à laquelle il se résolut par amour : il prit les billets de Fendant et Cavalier, se rendit rue des Bourdonnais au Cocon d’or pour en proposer l’escompte à Camusot. Le poète n’était pas encore tellement corrompu qu’il pût aller froidement à cet assaut. Il laissa bien des douleurs sur le chemin, il le pava des plus terribles pensées en se disant alternativement : oui ! — non ! Mais il arriva néanmoins au petit cabinet froid, noir, éclairé par une cour intérieure, où siégeait gravement non plus l’amoureux de Coralie, le débonnaire, le fainéant, le libertin, l’incrédule Camusot qu’il connaissait ; mais le sérieux père de famille, le négociant poudré de ruses et de vertus, masqué de la pruderie judiciaire d’un magistrat du Tribunal de Commerce, et défendu par la froideur patronale d’un chef de maison, entouré de commis, de caissiers, de cartons verts, de factures et d’échantillons, bardé de sa femme, accompagné d’une fille simplement mise. Lucien frémit de la tête aux pieds en l’abordant, car le digne négociant lui jeta le regard insolemment indifférent qu’il avait déjà vu dans les yeux des escompteurs.

— Voici des valeurs, je vous aurais mille obligations si vous vouliez me les prendre, monsieur ? dit-il en se tenant debout auprès du négociant assis.

— Vous m’avez pris quelque chose, monsieur, dit Camusot, je m’en souviens.

Là, Lucien expliqua la situation de Coralie, à voix basse et en parlant à l’oreille du marchand de soieries, qui put entendre les palpitations du poète humilié. Il n’était pas dans les intentions de Camusot que Coralie éprouvât une chute. En écoutant, le négociant regardait les signatures et sourit, il était Juge au Tribunal de Commerce, il connaissait la situation des libraires. Il donna quatre mille cinq cents francs à Lucien, à la condition de mettre dans son endos valeur reçue en soieries. Lucien alla sur-le-champ voir Braulard et fit très-bien les choses avec lui pour assurer à Coralie un beau succès. Braulard promit de venir et vint à la répétition générale afin de