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et le vieux beau de l’Empire au milieu d’un magnifique souper au Rocher de Cancale. Lucien qui rentrait toujours le matin et se levait au milieu de la journée, ne savait pas résister à un amour à domicile et toujours prêt. Ainsi le ressort de sa volonté, sans cesse assoupli par une paresse qui le rendait indifférent aux belles résolutions prises dans les moments où il entrevoyait sa position sous son vrai jour, devint nul, et ne répondit bientôt plus aux plus fortes pressions de la misère. Après avoir été très-heureuse de voir Lucien s’amusant, après l’avoir encouragé en voyant dans cette dissipation des gages pour la durée de son attachement et des liens dans les nécessités qu’elle créait, la douce et tendre Coralie eut le courage de recommander à son amant de ne pas oublier le travail, et fut plusieurs fois obligée de lui rappeler qu’il avait gagné peu de chose dans son mois. L’amant et la maîtresse s’endettèrent avec une effrayante rapidité. Les quinze cents francs restant sur le prix des Marguerites, les premiers cinq cents francs gagnés par Lucien avaient été promptement dévorés. En trois mois, ses articles ne produisirent pas au poète plus de mille francs, et il crut avoir énormément travaillé. Mais Lucien avait adopté déjà la jurisprudence plaisante des viveurs sur les dettes. Les dettes sont jolies chez les jeunes gens de vingt-cinq ans ; plus tard, personne ne les pardonne. Il est à remarquer que certaines âmes, vraiment poétiques, mais où la volonté faiblit, occupées à sentir pour rendre leurs sensations par des images, manquent essentiellement du sens moral qui doit accompagner toute observation. Les poètes aiment plutôt à recevoir en eux des impressions que d’entrer chez les autres y étudier le mécanisme des sentiments. Ainsi Lucien ne demanda pas compte aux viveurs de ceux d’entre eux qui disparaissaient, il ne vit pas l’avenir de ces prétendus amis qui les uns avaient des héritages, les autres des espérances certaines, ceux-ci des talents reconnus, ceux-là la foi la plus intrépide en leur destinée et le dessein prémédité de tourner les lois. Lucien crut à son avenir en se fiant à ces axiomes profonds de Blondet :

« Tout finit par s’arranger. — Rien ne se dérange chez les gens qui n’ont rien. — Nous ne pouvons perdre que la fortune que nous cherchons ! — En allant avec le courant, on finit par arriver quelque part. — Un homme d’esprit qui a pied dans le monde fait fortune quand il le veut ! »

Cet hiver, rempli par tant de plaisirs, fut nécessaire à Théodore Gaillard et à Hector Merlin pour trouver les capitaux qu’exi-