Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/346

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fût, sur laquelle reposait le bonheur matériel de l’actrice et de son poète. Sans se compromettre, Camusot avait engagé les fournisseurs de Coralie à lui faire crédit pendant au moins trois mois. Les chevaux, les gens, tout devait donc aller comme par enchantement pour ces deux enfants empressés de jouir, et qui jouissaient de tout avec délices. Coralie vint prendre Lucien par la main et l’initia par avance au coup de théâtre de la salle à manger, parée de son couvert splendide, de ses candélabres chargés de quarante bougies, aux recherches royales du dessert, et au menu, l’œuvre de Chevet. Lucien baisa Coralie au front en la pressant sur son cœur.

— J’arriverai, mon enfant, lui dit-il, et je te récompenserai de tant d’amour et de tant de dévouement.

— Bah ! dit-elle, es-tu content ?

— Je serais bien difficile.

— Eh ! bien, ce sourire paye tout, répondit-elle en apportant par un mouvement de serpent ses lèvres aux lèvres de Lucien.

Ils trouvèrent Florine, Lousteau, Matifat et Camusot en train d’arranger les tables de jeu. Les amis de Lucien arrivaient. Tous ces gens s’intitulaient déjà les amis de Lucien. On joua de neuf heures à minuit. Heureusement pour lui, Lucien ne savait aucun jeu ; mais Lousteau perdit mille francs et les emprunta à Lucien qui ne crut pas pouvoir se dispenser de les prêter, car son ami les lui demanda. À dix heures environ, Michel, Fulgence et Joseph se présentèrent. Lucien, qui alla causer avec eux dans un coin, trouva leurs visages assez froids et sérieux, pour ne pas dire contraints. D’Arthez n’avait pu venir, il achevait son livre. Léon Giraud était occupé par la publication du premier numéro de sa Revue. Le Cénacle avait envoyé ses trois artistes qui devaient se trouver moins dépaysés que les autres au milieu d’une orgie.

— Eh ! bien, mes enfants, dit Lucien en affichant un petit ton de supériorité, vous verrez que le petit farceur peut devenir un grand politique.

— Je ne demande pas mieux que de m’être trompé, dit Michel.

— Tu vis avec Coralie en attendant mieux ? lui demanda Fulgence.

— Oui, reprit Lucien d’un air qu’il voulait rendre naïf. Coralie avait un pauvre vieux négociant qui l’adorait, elle l’a mis à la porte. Je suis plus heureux que ton frère Philippe qui ne sait comment gouverner Mariette, ajouta-t-il en regardant Joseph Bridau.