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étaient pour moi comme des feuilles de choux, aujourd’hui votre position en a fait des Messéniennes.

— Eh ! bien, dit Lucien que le plaisir sultanesque d’avoir une belle maîtresse et que la certitude de son succès rendait railleur et adorablement impertinent, si vous n’avez pas lu mes sonnets, vous avez lu mon article.

— Oui, mon ami, sans cela serais-je venu si promptement ? Il est malheureusement très-beau, ce terrible article. Ah ! vous avez un immense talent, mon petit. Croyez-moi, profitez de la vogue, dit-il avec une bonhomie qui cachait la profonde impertinence du mot. Mais avez-vous reçu le journal, l’avez-vous lu ?

— Pas encore, dit Lucien, et cependant voilà la première fois que je publie un grand morceau de prose ; mais Hector l’aura fait adresser chez moi, rue Charlot.

— Tiens, lis, dit Dauriat en imitant Talma dans Manlius.

Lucien prit la feuille que Coralie lui arracha.

— À moi les prémices de votre plume, vous savez bien, dit-elle en riant.

Dauriat fut étrangement flatteur et courtisan, il craignait Lucien, il l’invita donc avec Coralie à un grand dîner qu’il donnait aux journalistes vers la fin de la semaine. Il emporta le manuscrit des Marguerites en disant à son poète de passer quand il lui plairait aux Galeries de Bois pour signer le traité qu’il tiendrait prêt. Toujours fidèle aux façons royales par lesquelles il essayait d’en imposer aux gens superficiels, et de passer plutôt pour un Mécène que pour un libraire, il laissa les trois mille francs sans en prendre de reçu, refusa la quittance offerte par Lucien en faisant un geste de nonchalance, et partit en baisant la main à Coralie.

— Eh ! bien mon amour, aurais-tu vu beaucoup de ces chiffons-là, si tu étais resté dans ton trou de la rue de Cluny à marauder dans tes bouquins de la bibliothèque Sainte-Geneviève ? dit Coralie à Lucien qui lui avait raconté toute son existence. Tiens, tes petits amis de la rue des Quatre-vents me font l’effet d’être de grands Jobards !

Ses frères du Cénacle étaient des Jobards ! et Lucien entendit cet arrêt en riant. Il avait lu son article imprimé, il venait de goûter cette ineffable joie des auteurs, ce premier plaisir d’amour-propre qui ne caresse l’esprit qu’une seule fois. En lisant et relisant son article, il en sentait mieux la portée et l’étendue. L’impression