Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/320

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ron trois colonnes, où il s’était élevé à une hauteur surprenante. Il courut au journal, il était neuf heures du soir, il y trouva les rédacteurs et leur lut son travail. Il fut écouté sérieusement. Félicien ne dit pas un mot, il prit le manuscrit et dégringola les escaliers.

— Que lui prend-il ? s’écria Lucien.

— Il porte ton article à l’imprimerie ! dit Hector Merlin, c’est un chef-d’œuvre où il n’y a ni un mot à retrancher, ni une ligne à ajouter.

— Il ne faut que te montrer le chemin ! dit Lousteau.

— Je voudrais voir la mine que fera Nathan demain en lisant cela, dit un autre rédacteur sur la figure duquel éclatait une douce satisfaction.

— Il faut être votre ami, dit Hector Merlin.

— C’est donc bien ? demanda vivement Lucien.

— Blondet et Vignon s’en trouveront mal, dit Lousteau.

— Voici, reprit Lucien, un petit article que j’ai broché pour vous, et qui peut, en cas de succès, fournir une série de compositions semblables.

— Lisez-nous cela, dit Lousteau.

Lucien leur lut alors un de ces délicieux articles qui firent la fortune de ce petit journal, et où en deux colonnes il peignait un des menus détails de la vie parisienne, une figure, un type, un événement normal, ou quelques singularités. Cet échantillon, intitulé : Les passants de Paris, était écrit dans cette manière neuve et originale où la pensée résultait du choc des mots, où le cliquetis des adverbes et des adjectifs réveillait l’attention. Cet article était aussi différent de l’article grave et profond sur Nathan, que les Lettres Persanes diffèrent de l’Esprit des Lois.

— Tu es né journaliste, lui dit Lousteau. Cela passera demain, fais-en tant que tu voudras.

— Ah çà, dit Merlin, Dauriat est furieux des deux obus que nous avons lancés dans son magasin. Je viens de chez lui ; il fulminait des imprécations, il s’emportait contre Finot qui lui disait t’avoir vendu son journal. Moi, je l’ai pris à part, et lui ai coulé ces mots dans l’oreille : Les Marguerites vous coûteront cher ! Il vous arrive un homme de talent, et vous l’envoyez promener quand nous l’accueillons à bras ouverts.

— Dauriat sera foudroyé par l’article que nous venons d’entendre, dit Lousteau à Lucien. Tu vois, mon enfant, ce qu’est le jour-