Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/319

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vre dont on veut que vous vous occupiez ; on commence par des considérations générales dans lesquelles on peut parler des Grecs et des Romains, puis on dit à la fin : Ces considérations nous ramènent au livre de monsieur un tel, qui sera la matière d’un second article. Et le second article ne paraît jamais. On étouffe ainsi le livre entre deux promesses. Ici tu ne fais pas un article contre Nathan, mais contre Dauriat ; il faut un coup de pic. Sur un bel ouvrage, le pic n’entame rien, et il entre dans un mauvais livre jusqu’au cœur : au premier cas, il ne blesse que le libraire ; et dans le second, il rend service au public. Ces formes de critique littéraire s’emploient également dans la critique politique.

La cruelle leçon d’Étienne ouvrait des cases dans l’imagination de Lucien qui comprit admirablement ce métier.

— Allons au journal, dit Lousteau nous y trouverons nos amis, et nous conviendrons d’une charge à fond de train contre Nathan, et ça les fera rire, tu verras.

Arrivés rue Saint-Fiacre, ils montèrent ensemble à la mansarde où se faisait le journal, et Lucien fut aussi surpris que ravi de voir l’espèce de joie avec laquelle ses camarades convinrent de démolir le livre de Nathan. Hector Merlin prit un carré de papier, et il écrivit ces lignes qu’il alla porter à son journal.


  On annonce une seconde édition du livre de monsieur Nathan. Nous comptions garder le silence sur cet ouvrage, mais cette apparence de succès nous oblige à publier un article, moins sur l’œuvre que sur la tendance de la jeune littérature.


  En tête des plaisanteries pour le numéro du lendemain, Lousteau mit cette phrase.


  *** Le libraire Dauriat publie une seconde édition du livre de monsieur Nathan ? Il ne connaît donc pas le proverbe du Palais : Non bis in idem. Honneur au courage malheureux !


  Les paroles d’Étienne avaient été comme un flambeau pour Lucien, à qui le désir de se venger de Dauriat tint lieu de conscience et d’inspiration. Trois jours après, pendant lesquels il ne sortit pas de la chambre de Coralie où il travaillait au coin du feu, servi par Bérénice, et caressé dans ses moments de lassitude par l’attentive et silencieuse Coralie, Lucien mit au net un article critique, d’envi-