maritalement établis, et tous trois ils y déjeunèrent splendidement.
— Mais mon petit, lui dit Lousteau quand ils furent attablés et que Lucien lui eut parlé du souper que donnerait Coralie, je te conseille de venir avec moi voir Félicien Vernou, de l’inviter, et de te lier avec lui autant qu’on peut se lier avec un pareil drôle. Félicien te donnera peut-être accès dans le journal politique où il cuisine le feuilleton, et où tu pourras fleurir à ton aise en grands articles dans le haut de ce journal. Cette feuille, comme la nôtre, appartient au parti libéral, tu seras libéral, c’est le parti populaire ; d’ailleurs, si tu voulais passer du côté ministériel, tu y entrerais avec d’autant plus d’avantages que tu te serais fait redouter. Hector Merlin et sa madame du Val-Noble, chez qui vont quelques grands seigneurs, les jeunes dandies et les millionnaires, ne t’ont-ils pas prié, toi et Coralie, à dîner ?
— Oui, répondit Lucien, et tu en es avec Florine.
Lucien et Lousteau, dans leur griserie de vendredi et pendant leur dîner du dimanche, en étaient arrivés à se tutoyer.
— Eh ! bien, nous rencontrerons Merlin au journal, c’est un gars qui suivra Finot de près ; tu feras bien de le soigner, de le mettre de ton souper avec sa maîtresse : il te sera peut-être utile avant peu, car les gens haineux ont besoin de tout le monde, et il te rendra service pour avoir ta plume au besoin.
— Votre début a fait assez de sensation pour que vous n’éprouviez aucun obstacle, dit Florine à Lucien, hâtez-vous d’en profiter, autrement vous seriez promptement oublié.
— L’affaire, reprit Lousteau, la grande affaire est consommée ! Ce Finot, un homme sans aucun talent, est directeur et rédacteur en chef du journal hebdomadaire de Dauriat, propriétaire d’un sixième qui ne lui coûte rien, et il a six cents francs d’appointements par mois. Je suis, de ce matin, mon cher, rédacteur en chef de notre petit journal. Tout s’est passé comme je le présumais l’autre soir : Florine a été superbe, elle rendrait des points au prince de Talleyrand.
— Nous tenons les hommes par leur plaisir, dit Florine, les diplomates ne les prennent que par l’amour-propre ; les diplomates leur voient faire des façons et nous leur voyons faire des bêtises, nous sommes donc les plus fortes.
— En concluant, dit Lousteau, Matifat a commis le seul bon mot qu’il prononcera dans sa vie de droguiste : L’affaire, a-t-il dit, ne sort pas de mon commerce !