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que la cuisinière ne pût soupçonner la présence d’un amant.

Lucien dîna très-bien, servi par Bérénice dans une argenterie sculptée, dans des assiettes peintes à un louis la pièce. Ce luxe agissait sur son âme comme une fille des rues agit avec ses chairs nues et ses bas blancs bien tirés sur un lycéen.

— Est-il heureux, ce Camusot ! s’écria-t-il.

— Heureux ? reprit Bérénice. Ah ! il donnerait bien sa fortune pour être à votre place, et pour troquer ses vieux cheveux gris contre votre jeune chevelure blonde.

Elle engagea Lucien, à qui elle donna le plus délicieux vin que Bordeaux ait soigné pour le plus riche Anglais, à se recoucher en attendant Coralie, à faire un petit somme provisoire, et Lucien avait en effet envie de se coucher dans ce lit qu’il admirait. Bérénice, qui avait lu ce désir dans les yeux du poète, en était heureuse pour sa maîtresse. À dix heures et demie, Lucien s’éveilla sous un regard trempé d’amour. Coralie était là dans la plus voluptueuse toilette de nuit. Lucien avait dormi, Lucien n’était plus ivre que d’amour. Bérénice se retira demandant : — À quelle heure demain ?

— Onze heures, tu nous apporteras notre déjeuner au lit. Je n’y serai pour personne avant deux heures.

À deux heures le lendemain, l’actrice et son amant étaient habillés et en présence, comme si le poète fût venu faire une visite à sa protégée. Coralie avait baigné, peigné, coiffé, habillé Lucien ; elle lui avait envoyé chercher douze belles chemises, douze cravates, douze mouchoirs chez Colliau, une douzaine de gants dans une boîte de cèdre. Quand elle entendit le bruit d’une voiture à sa porte, elle se précipita vers la fenêtre avec Lucien. Tous deux virent Camusot descendant d’un coupé magnifique.

— Je ne croyais pas, dit-elle, qu’on pût haïr tant un homme et le luxe…

— Je suis trop pauvre pour consentir à ce que vous vous ruiniez, dit Lucien en passant ainsi sous les Fourches-Caudines.

— Pauvre petit chat, dit-elle en pressant Lucien sur son cœur, tu m’aimes donc bien ? — J’ai engagé monsieur, dit-elle en montrant Lucien à Camusot, à venir me voir ce matin, en pensant que nous irions nous promener aux Champs-Élysées pour essayer la voiture.

— Allez-y seuls, dit tristement Camusot, je ne dîne pas avec vous, c’est la fête de ma femme, je l’avais oublié.