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l’Europe que votre Excellence a vomi un serpent ce soir, qu’elle a manqué l’inoculer à mademoiselle Tullia, la plus jolie de nos danseuses, et là-dessus faire des commentaires sur Ève, la Bible, le premier et le dernier péché. Mais rassurez-vous, vous êtes notre hôte.

— Ce serait drôle, dit Finot.

— Nous ferions imprimer des dissertations scientifiques sur tous les serpents trouvés dans le cœur et dans le corps humain pour arriver au corps diplomatique, dit Lousteau.

— Nous pourrions montrer un serpent quelconque dans ce bocal de cerises à l’eau-de-vie, dit Vernou.

— Vous finiriez par le croire vous-même, dit Vignon au diplomate.

— Le serpent est assez ami de la danseuse, dit Du Bruel.

— Dites d’un premier sujet, reprit Tullia.

— Messieurs, ne réveillez pas vos griffes qui dorment, s’écria le duc de Rhétoré.

— L’influence et le pouvoir du journal n’est qu’à son aurore, dit Finot, le journalisme est dans l’enfance, il grandira. Tout, dans dix ans d’ici, sera soumis à la publicité. La pensée éclairera tout.

— Elle flétrira tout, dit Blondet en interrompant Finot.

— C’est un mot, dit Claude Vignon.

— Elle fera des rois, dit Lousteau.

— Et défera les monarchies, dit le diplomate.

— Aussi, dit Blondet, si la Presse n’existait point, faudrait-il ne pas l’inventer ; mais la voilà, nous en vivons.

— Vous en mourrez, dit le diplomate. Ne voyez-vous pas que la supériorité des masses, en supposant que vous les éclairiez, rendra la grandeur de l’individu plus difficile ; qu’en semant le raisonnement au cœur des basses classes, vous récolterez la révolte, et que vous en serez les premières victimes. Que casse-t-on à Paris quand il y a une émeute ?

— Les réverbères, dit Nathan ; mais nous sommes trop modestes pour avoir des craintes, nous ne serons que fêlés.

— Vous êtes un peuple trop spirituel pour permettre à un gouvernement de se développer, dit le ministre. Sans cela vous recommenceriez avec vos plumes la conquête de l’Europe que votre épée n’a pas su garder.