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Pendant que Lucien écrivait cet article, qui fit révolution dans le journalisme par la révélation d’une manière neuve et originale, Lousteau écrivait un article, dit de mœurs, intitulé l’ex-beau, et qui commençait ainsi :

« Le beau de l’Empire est toujours un homme long et mince, bien conservé, qui porte un corset et qui a la croix de la Légion-d’Honneur. Il s’appelle quelque chose comme Potelet ; et, pour se mettre bien en cour aujourd’hui, le baron de l’Empire s’est gratifié d’un du : il est Du Potelet, quitte à redevenir Potelet en cas de révolution. Homme à deux fins d’ailleurs comme son nom, il fait la cour au faubourg Saint-Germain après avoir été le glorieux, l’utile et l’agréable porte-queue d’une sœur de cet homme que la pudeur m’empêche de nommer. Si du Potelet renie son service auprès de l’Altesse impériale, il chante encore les romances de sa bienfaitrice intime… »

L’article était un tissu de personnalités comme on les faisait à cette époque. Il s’y trouvait entre madame de Bargeton, à qui le baron Châtelet faisait la cour, et un os de seiche un parallèle bouffon qui plaisait sans qu’on eût besoin de connaître les deux personnes desquelles on se moquait. Châtelet était comparé à un héron. Les amours de ce héron, ne pouvant avaler la seiche, qui se cassait en trois quand il la laissait tomber, provoquaient irrésistiblement le rire. Cette plaisanterie, qui se divisa en plusieurs articles, eut, comme on sait, un retentissement énorme dans le faubourg Saint-Germain, et fut une des mille et une causes des rigueurs apportées à la législation de la Presse. Une heure après, Blondet, Lousteau, Lucien revinrent au salon où causaient les convives, le duc, le ministre et les quatre femmes, les trois négociants, le directeur du théâtre, Finot et les trois auteurs. Un apprenti, coiffé de son bonnet de papier, était déjà venu chercher la copie pour le journal.

— Les ouvriers vont quitter si je ne leur rapporte rien, dit-il.

— Tiens, voilà dix francs, et qu’ils attendent, répondit Finot.

— Si je les leur donne, monsieur, ils feront de la soulographie, et adieu le journal.

— Le bon sens de cet enfant m’épouvante, dit Finot.

Ce fut au moment où le ministre prédisait un brillant avenir à ce gamin que les trois auteurs entrèrent. Blondet lut un article excessivement spirituel contre les romantiques. L’article de Lousteau fit rire. Le duc de Rhétoré recommanda, pour ne pas trop indis-