Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/267

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cour à votre ex-maîtresse, un os de seiche. Attendez ! Finot vient de m’envoyer un exprès me dire que le journal est sans copie, un tour que lui joue un de nos rédacteurs, un drôle, le petit Hector Merlin à qui l’on a retranché ses blancs. Finot au désespoir broche un article contre les danseuses et l’Opéra. Eh ! bien, mon cher, faites l’article sur cette pièce, écoutez-la, pensez-y. Moi, je vais aller dans le cabinet du directeur méditer trois colonnes sur votre homme et sur votre belle dédaigneuse qui ne seront pas à la noce demain…

— Voilà donc où et comment se fait le journal ? dit Lucien.

— Toujours comme ça, répondit Lousteau. Depuis dix mois que j’y suis, le journal est toujours sans copie à huit heures du soir.

On nomme, en argot typographique, copie, le manuscrit à composer, sans doute parce que les auteurs sont censés n’envoyer que la copie de leur œuvre. Peut-être aussi est-ce une ironique traduction du mot latin copia (abondance), car la copie manque toujours !…

— Le grand projet qui ne se réalisera jamais est d’avoir quelques numéros d’avance, reprit Lousteau. Voilà dix heures, et il n’y a pas une ligne. Je vais dire à Vernou et à Nathan, pour finir brillamment le numéro, de nous prêter une vingtaine d’épigrammes sur les députés, sur le chancelier Cruzoé, sur les ministres, et sur nos amis au besoin. Dans ce cas-là, on massacrerait son père, on est comme un corsaire qui charge ses canons avec les écus de sa prise pour ne pas mourir. Soyez spirituel dans votre article, et vous aurez fait un grand pas dans l’esprit de Finot : il est reconnaissant par calcul. C’est la meilleure et la plus solide des reconnaissances, après toutefois celles du Mont-de-Piété !

— Quels hommes sont donc les journalistes ?… s’écria Lucien. Comment, il faut se mettre à une table et avoir de l’esprit…

— Absolument comme on allume un quinquet… jusqu’à ce que l’huile manque.

Au moment où Lousteau ouvrait la porte de la loge, le directeur et Du Bruel entrèrent.

— Monsieur, dit l’auteur de la pièce, laissez-moi dire de votre part à Coralie que vous vous en irez avec elle après souper, ou ma pièce va tomber. La pauvre fille ne sait plus ce qu’elle dit ni ce qu’elle fait, elle va pleurer quand il faudra rire, et rira quand il faudra pleurer. On a déjà sifflé. Vous pouvez encore sauver la