vince que j’ai oublié de vous présenter. Vous êtes si belle ce soir qu’il est impossible de songer à la civilité puérile et honnête…
— Est-il riche, qu’il fait de la poésie ? demanda Florine.
— Pauvre comme Job, répondit Lucien.
— C’est bien tentant pour nous autres, dit l’actrice.
Du Bruel, l’auteur de la pièce, un jeune homme en redingote, petit, délié, tenant à la fois du bureaucrate, du propriétaire et de l’agent de change, entra soudain.
— Ma petite Florine, vous savez bien votre rôle, hein ? pas de défaut de mémoire. Soignez la scène du second acte, du mordant, de la finesse ! Dites bien : Je ne vous aime pas, comme nous en sommes convenus.
— Pourquoi prenez-vous des rôles où il y a de pareilles phrases ? dit Matifat à Florine.
Un rire universel accueillit l’observation du droguiste.
— Qu’est-ce que cela vous fait, lui dit-elle, puisque ce n’est pas à vous que je parle, animal-bête ? Oh ! il fait mon bonheur avec ses niaiseries, ajouta-t-elle en regardant les auteurs. Foi d’honnête fille, je lui payerais tant par bêtise, si ça ne devait pas me ruiner.
— Oui, mais vous me regardez en disant cela comme quand vous répétez votre rôle, et ça me fait peur, répondit le droguiste.
— Hé ! bien, je regarderai mon petit Lousteau, répondit-elle.
Une cloche retentit dans les corridors.
— Allez-vous-en tous, dit Florine, laissez-moi relire mon rôle et tâcher de le comprendre.
Lucien et Lousteau partirent les derniers. Lousteau baisa les épaules de Florine, et Lucien entendit l’actrice disant : — Impossible pour ce soir. Cette vieille bête a dit à sa femme qu’il allait à la campagne.
— La trouvez-vous gentille ? dit Étienne à Lucien.
— Mais, mon cher, ce Matifat… s’écria Lucien.
— Eh ! mon enfant, vous ne savez rien encore de la vie parisienne, répondit Lousteau. Il est des nécessités qu’il faut subir ! C’est comme si vous aimiez une femme mariée, voilà tout. On se fait une raison.
Étienne et Lucien entrèrent dans une loge d’avant-scène, au rez-de-chaussée, où ils trouvèrent le directeur du théâtre et Finot. En face, Matifat était dans la loge opposée, avec un de ses amis nommé Camusot, un marchand de soieries qui protégeait