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tration comptait sur la pièce nouvelle, espèce de mélodrame comique d’un jeune auteur, collaborateur de quelques célébrités, nommé Du Bruel qui disait l’avoir faite à lui seul. Cette pièce avait été composée pour le début de Florine, jusqu’alors comparse à la Gaîté, où depuis un an elle jouait des petits rôles dans lesquels elle s’était fait remarquer, sans pouvoir obtenir d’engagement, en sorte que le Panorama l’avait enlevée à son voisin. Coralie, une autre actrice, devait y débuter aussi. Quand les deux amis arrivèrent, Lucien fut stupéfait par l’exercice du pouvoir de la Presse.

— Monsieur est avec moi, dit Étienne au Contrôle qui s’inclina tout entier.

— Vous trouverez bien difficilement à vous placer, dit le contrôleur en chef. Il n’y a plus de disponible que la loge du directeur.

Étienne et Lucien perdirent un certain temps à errer dans les corridors et à parlementer avec les ouvreuses.

— Allons dans la salle, nous parlerons au directeur qui nous prendra dans sa loge. D’ailleurs je vous présenterai à l’héroïne de la soirée, à Florine.

Sur un signe de Lousteau, le portier de l’Orchestre prit une petite clef et ouvrit une porte perdue dans un gros mur. Lucien suivit son ami, et passa soudain du corridor illuminé au trou noir qui, dans presque tous les théâtres, sert de communication entre la salle et les coulisses. Puis, en montant quelques marches humides, le poète de province aborda la coulisse, où l’attendait le spectacle le plus étrange. L’étroitesse des portants, la hauteur du théâtre, les échelles à quinquets, les décorations si horribles vues de près, les acteurs plâtrés, leurs costumes si bizarres et faits d’étoffes si grossières, les garçons à vestes huileuses, les cordes qui pendent, le régisseur qui se promène son chapeau sur la tête, les comparses assises, les toiles de fond suspendues, les pompiers, cet ensemble de choses bouffonnes, tristes, sales, affreuses, éclatantes ressemblait si peu à ce que Lucien avait vu de sa place au théâtre que son étonnement fut sans bornes. On achevait un gros bon mélodrame intitulé Bertram, pièce imitée d’une tragédie de Maturin qu’estimaient infiniment Nodier, lord Byron et Walter Scott, mais qui n’obtint aucun succès à Paris.

— Ne quittez pas mon bras si vous ne voulez pas tomber dans une trappe, recevoir une forêt sur la tête, renverser un palais ou accrocher une chaumière, dit Étienne à Lucien. Florine est-elle