— Mais, mon petit poète, reviens ici dans trois ou quatre jours, nous verrons.
Lucien fut entraîné par Lousteau qui ne lui laissa pas le temps de saluer Vernou, ni Blondet, ni Raoul Nathan, ni le général Foy, ni Benjamin Constant dont l’ouvrage sur les Cent-Jours venait de paraître. Lucien entrevit à peine cette tête blonde et fine, ce visage oblong, ces yeux spirituels, cette bouche agréable, enfin l’homme qui pendant vingt ans avait été le Potemkin de madame de Staël, et qui faisait la guerre aux Bourbons après l’avoir faite à Napoléon, mais qui devait mourir atterré de sa victoire.
— Quelle boutique ! s’écria Lucien quand il fut assis dans un cabriolet de place à côté de Lousteau.
— Au Panorama-Dramatique, et du train ! tu as trente sous pour ta course, dit Étienne au cocher. Dauriat est un drôle qui vend pour quinze ou seize cent mille francs de livres par an, il est comme le ministre de la littérature, répondit Lousteau dont l’amour-propre était agréablement chatouillé et qui se posait en maître devant Lucien. Son avidité, tout aussi grande que celle de Barbet, s’exerce sur des masses. Dauriat a des formes, il est généreux, mais il est vain ; quant à son esprit, ça se compose de tout ce qu’il entend dire autour de lui ; sa boutique est un lieu très-excellent à fréquenter. On peut y causer avec les gens supérieurs de l’époque. Là, mon cher, un jeune homme en apprend plus en une heure qu’à pâlir sur des livres pendant dix ans. On y discute des articles, on y brasse des sujets, on s’y lie avec des gens célèbres ou influents qui peuvent être utiles. Aujourd’hui, pour réussir, il est nécessaire d’avoir des relations. Tout est hasard, vous le voyez. Ce qu’il y a de plus dangereux est d’avoir de l’esprit tout seul dans son coin.
— Mais quelle impertinence ! dit Lucien.
— Bah ! nous nous moquons tous de Dauriat, répondit Étienne. Vous avez besoin de lui, il vous marche sur le ventre ; il a besoin du Journal des Débats, Émile Blondet le fait tourner comme une toupie. Oh ! si vous entrez dans la littérature, vous en verrez bien d’autres ! Eh ! bien, que vous disais-je ?
— Oui, vous avez raison, répondit Lucien. J’ai souffert dans cette boutique encore plus cruellement que je ne m’y attendais, d’après votre programme.
— Et pourquoi vous livrer à la souffrance ? Ce qui nous coûte notre vie, le sujet qui, durant des nuits studieuses, a ravagé no-