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encombrées de gaze, de mousseline, de papiers, quelquefois ventilées par des courants d’air. Les boutiques de modistes étaient pleines de chapeaux inconcevables, qui semblaient être là moins pour la vente que pour l’étalage, tous accrochés par centaines à des broches de fer terminées en champignon, et pavoisant les galeries de leurs mille couleurs. Pendant vingt ans, tous les promeneurs se sont demandé sur quelles têtes ces chapeaux poudreux achevaient leur carrière. Des ouvrières généralement laides, mais égrillardes, raccrochaient les femmes par des paroles astucieuses, suivant la coutume et avec le langage de la Halle. Une grisette dont la langue était aussi déliée que ses yeux étaient actifs, se tenait sur un tabouret et harcelait les passants : — Achetez-vous un joli chapeau, madame ? — Laissez-moi donc vous vendre quelque chose, monsieur ? Leur vocabulaire fécond et pittoresque était varié par les inflexions de voix, par des regards et par des critiques sur les passants. Les libraires et les marchandes de modes vivaient en bonne intelligence. Dans le passage nommé si fastueusement la Galerie-Vitrée, se trouvaient les commerces les plus singuliers. Là s’établissaient les ventriloques, les charlatans de toute espèce, les spectacles où l’on ne voit rien et ceux où l’on vous montre le monde entier. Là s’est établi pour la première fois un homme qui a gagné sept ou huit cent mille francs à parcourir les foires. Il avait pour enseigne un soleil tournant dans un cadre noir, autour duquel éclataient ces mots écrits en rouge : Ici l’homme voit ce que Dieu ne saurait voir. Prix : deux sous. L’aboyeur ne vous admettait jamais seul, ni jamais plus de deux. Une fois entré, vous vous trouviez nez à nez avec une grande glace. Tout à coup une voix, qui eût épouvanté Hoffmann le Berlinois, partait comme une mécanique dont le ressort est poussé. « Vous voyez là, messieurs, ce que dans toute l’éternité Dieu ne saurait voir, c’est-à-dire votre semblable. Dieu n’a pas son semblable ! » Vous vous en alliez honteux sans oser avouer votre stupidité. De toutes les petites portes partaient des voix semblables qui vous vantaient des Cosmoramas, des vues de Constantinople, des spectacles de marionnettes, des automates qui jouaient aux échecs, des chiens qui distinguaient la plus belle femme de la société. Le ventriloque Fitz-James a fleuri là dans le café Borel avant d’aller mourir à Montmartre, mêlé aux élèves de l’École Polytechnique. Il y avait des fruitières et des marchandes de bouquets, un fameux tailleur dont les broderies