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homme qui a fait beaucoup parler de lui. C’est le compagnon de monsieur de Montriveau…

— Ah ! fit la marquise, je n’entends jamais ce nom sans penser à la pauvre duchesse de Langeais, qui a disparu comme une étoile filante. Voici, reprit-elle en montrant une loge, monsieur de Rastignac et madame de Nucingen, la femme d’un fournisseur, banquier, homme d’affaires, brocanteur en grand, un homme qui s’impose au monde de Paris par sa fortune, et qu’on dit peu scrupuleux sur les moyens de l’augmenter ; il se donne mille peines pour faire croire à son dévouement pour les Bourbons, il a déjà tenté de venir chez moi. En prenant la loge de madame de Langeais, sa femme a cru qu’elle en aurait les grâces, l’esprit et le succès ! Toujours la fable du geai qui prend les plumes du paon !

— Comment font monsieur et madame de Rastignac, à qui nous ne connaissons pas mille écus de rente, pour soutenir leur fils à Paris ? dit Lucien à madame de Bargeton en s’étonnant de l’élégance et du luxe que révélait la mise de ce jeune homme.

— Il est facile de voir que vous venez d’Angoulême, répondit la marquise assez ironiquement sans quitter sa lorgnette.

Lucien ne comprit pas, il était tout entier à l’aspect des loges où il devinait les jugements qui s’y portaient sur madame de Bargeton et la curiosité dont il était l’objet. De son côté, Louise était singulièrement mortifiée du peu d’estime que la marquise faisait de la beauté de Lucien. — Il n’est donc pas si beau que je le croyais ! se disait-elle. De là, à le trouver moins spirituel, il n’y avait qu’un pas. La toile était baissée. Châtelet, qui était venu faire une visite à la duchesse de Carigliano, dont la loge avoisinait celle de madame d’Espard, y salua madame de Bargeton qui répondit par une inclination de tête. Une femme du monde voit tout, et la marquise remarqua la tenue supérieure de du Châtelet. En ce moment quatre personnes entrèrent successivement dans la loge de la marquise, quatre célébrités parisiennes.

Le premier était monsieur de Marsay, homme fameux par les passions qu’il inspirait, remarquable surtout par une beauté de jeune fille, beauté molle, efféminée, mais corrigée par un regard fixe, calme, fauve et rigide comme celui d’un tigre : on l’aimait, et il effrayait. Lucien était aussi beau ; mais chez lui le regard était si doux, son œil bleu était si limpide, qu’il ne paraissait pas susceptible d’avoir cette force et cette puissance à laquelle s’attachent tant