Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/140

Cette page a été validée par deux contributeurs.

les plus exigeantes sont à la campagne ou en voyage ; aussi, vers cette époque, les plus belles loges des théâtres de Paris reçoivent-elles des hôtes hétéroclites que les habitués ne revoient plus et qui donnent au public l’air d’une tapisserie usée. Du Châtelet avait déjà pensé que, grâce à cette circonstance, il pourrait, sans dépenser beaucoup d’argent, procurer à Naïs les amusements qui affriandent le plus les provinciaux. Le lendemain, pour la première fois qu’il venait, Lucien ne trouva pas Louise. Madame de Bargeton était sortie pour quelques emplettes indispensables. Elle était allée tenir conseil avec les graves et illustres autorités en matière de toilette féminine que Châtelet lui avait citées, car elle avait écrit son arrivée à la marquise d’Espard. Quoique madame de Bargeton eût en elle-même cette confiance que donne une longue domination, elle avait singulièrement peur de paraître provinciale. Elle avait assez de tact pour savoir combien les relations entre femmes dépendent des premières impressions ; et, quoiqu’elle se sût de force à se mettre promptement au niveau des femmes supérieures comme madame d’Espard, elle sentait avoir besoin de bienveillance à son début, et voulait surtout ne manquer d’aucun élément de succès. Aussi sut-elle à Châtelet un gré infini de lui avoir indiqué les moyens de se mettre à l’unisson du beau monde parisien. Par un singulier hasard, la marquise se trouvait dans une situation à être enchantée de rendre service à une personne de la famille de son mari. Sans cause apparente, le marquis d’Espard s’était retiré du monde ; il ne s’occupait ni de ses affaires, ni des affaires politiques, ni de sa famille, ni de sa femme. Devenue ainsi maîtresse d’elle-même, la marquise sentait le besoin d’être approuvée par le monde ; elle était donc heureuse de remplacer le marquis en cette circonstance en se faisant la protectrice de sa famille. Elle allait mettre de l’ostentation à son patronage afin de rendre les torts de son mari plus évidents. Dans la journée même, elle écrivit à madame de Bargeton, née Nègrepelisse, un de ces charmants billets où la forme est si jolie, qu’il faut bien du temps avant d’y reconnaître le manque de fond :

« Elle était heureuse d’une circonstance qui rapprochait de la famille une personne de qui elle avait entendu parler, et qu’elle souhaitait connaître, car les amitiés de Paris n’étaient pas si solides qu’elle ne désirât avoir quelqu’un de plus à aimer sur la terre ; et si cela ne devait pas avoir lieu, ce ne serait qu’une illusion à ensevelir avec les autres. Elle se mettait tout entière à la disposition de