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défendait madame de Bargeton ; mais il la défendait si maladroitement qu’il attisait le feu du commérage au lieu de l’éteindre. Lili, désolée de la chute du plus bel ange de l’olympe angoumoisin, alla tout en pleurs colporter la nouvelle à l’Évêché. Quand la ville entière fut bien certainement en rumeur, l’heureux du Châtelet alla chez madame de Bargeton, où il n’y avait, hélas ! qu’une seule table de wisth ; il demanda diplomatiquement à Naïs d’aller causer avec elle dans son boudoir. Tous deux s’assirent sur le petit canapé.

— Vous savez sans doute, dit du Châtelet à voix basse, ce dont tout Angoulême s’occupe ?…

— Non, dit-elle.

— Eh ! bien, reprit-il, je suis trop votre ami pour vous le laisser ignorer. Je dois vous mettre à même de faire cesser des calomnies sans doute inventées par Amélie, qui a l’outrecuidance de se croire votre rivale. Je venais ce matin vous voir avec ce singe de Stanislas, qui me précédait de quelques pas, lorsqu’en arrivant là, dit-il en montrant la porte du boudoir, il prétend vous avoir vue avec monsieur de Rubempré dans une situation qui ne lui permettait pas d’entrer ; il est revenu sur moi tout effaré en m’entraînant, sans me laisser le temps de me reconnaître ; et nous étions à Beaulieu, quand il me dit la raison de sa retraite. Si je l’avais connue, je n’aurais pas bougé de chez vous, afin d’éclaircir cette affaire à votre avantage ; mais revenir chez vous après en être sorti ne prouvait plus rien. Maintenant, que Stanislas ait vu de travers, ou qu’il ait raison, il doit avoir tort. Chère Naïs, ne laissez pas jouer votre vie, votre honneur, votre avenir par un sot ; imposez-lui silence à l’instant. Vous connaissez ma situation ici ? Quoique j’y aie besoin de tout le monde, je vous suis entièrement dévoué. Disposez d’une vie qui vous appartient. Quoique vous ayez repoussé mes vœux, mon cœur sera toujours à vous, et en toute occasion je vous prouverai combien je vous aime. Oui, je veillerai sur vous comme un fidèle serviteur, sans espoir de récompense, uniquement pour le plaisir que je trouve à vous servir, même à votre insu. Ce matin, j’ai partout dit que j’étais à la porte du salon, et que je n’avais rien vu. Si l’on vous demande qui vous a instruite des propos tenus sur vous, servez-vous de moi. Je serais bien glorieux d’être votre défenseur avoué ; mais, entre nous, monsieur de Bargeton est le seul qui puisse demander raison à Stanislas… Quand ce petit Rubempré aurait fait quelque folie, l’honneur d’une femme ne saurait être à la