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et venaient, rien de mystérieux n’annonçait les jolis crimes de l’amour, etc. Stanislas, qui ne manquait pas d’une certaine dose de bêtise, se promit d’arriver le lendemain sur la pointe du pied, ce à quoi la perfide Amélie l’engagea fort.

Ce lendemain fut pour Lucien une de ces journées où les jeunes gens s’arrachent quelques cheveux en se jurant à eux-mêmes de ne pas continuer le sot métier de soupirant. Il s’était accoutumé à sa position. Le poète qui avait si timidement pris une chaise dans le boudoir sacré de la reine d’Angoulême, s’était métamorphosé en amoureux exigeant. Six mois avaient suffi pour qu’il se crût l’égal de Louise, et il voulait alors en être le maître. Il partit de chez lui se promettant d’être très-déraisonnable, de mettre sa vie en jeu, d’employer toutes les ressources d’une éloquence enflammée, de dire qu’il avait la tête perdue, qu’il était incapable d’avoir une pensée ni d’écrire une ligne. Il existe chez certaines femmes une horreur des partis pris qui fait honneur à leur délicatesse, elles aiment à céder à l’entraînement, et non à des conventions. Généralement, personne ne veut d’un plaisir imposé. Madame de Bargeton remarqua sur le front de Lucien, dans ses yeux, dans sa physionomie et dans ses manières, cet air agité qui trahit une résolution arrêtée : elle se proposa de la déjouer, un peu par esprit de contradiction, mais aussi par une noble entente de l’amour. En femme exagérée, elle s’exagérait la valeur de sa personne. À ses yeux, madame de Bargeton était une souveraine, une Béatrix, une Laure. Elle s’asseyait, comme au Moyen-Âge, sous le dais du tournoi littéraire, et Lucien devait la mériter après plusieurs victoires, il avait à effacer l’enfant sublime, Lamartine, Walter Scott, Byron. La noble créature considérait son amour comme un principe généreux : les désirs qu’elle inspirait à Lucien devaient être une cause de gloire pour lui. Ce donquichottisme féminin est un sentiment qui donne à l’amour une consécration respectable, elle l’utilise, elle l’agrandit, elle l’honore. Obstinée à jouer le rôle de Dulcinée dans la vie de Lucien pendant sept à huit ans, madame de Bargeton voulait, comme beaucoup de femmes de province, faire acheter sa personne par une espèce de servage, par un temps de constance qui lui permît de juger son ami.

Quand Lucien eut engagé la lutte par une de ces fortes bouderies dont se rient les femmes encore libres d’elles-mêmes, et qui n’attristent que les femmes aimées, Louise prit un air digne, et