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abandonna ses beaux cheveux d’or, ses mains, sa tête aux baisers enflammés du poète qui, la veille, avait tant souffert !

— Si tu avais vu ton visage pendant que tu lisais, dit-elle, car ils étaient arrivés la veille au tutoiement, à cette caresse du langage, alors que sur le canapé Louise avait de sa blanche main essuyé les gouttes de sueur qui par avance mettaient des perles sur le front où elle posait une couronne. Il s’échappait des étincelles de tes beaux yeux ! je voyais sortir de tes lèvres les chaînes d’or qui suspendent les cœurs à la bouche des poètes. Tu me liras tout Chénier, c’est le poète des amants. Tu ne souffriras plus, je ne le veux pas ! oui, cher ange, je te ferai une oasis où tu vivras toute ta vie de poète, active, molle, indolente, laborieuse, pensive tour à tour ; mais n’oubliez jamais que vos lauriers me sont dus, que ce sera pour moi la noble indemnité des souffrances qui m’adviendront. Pauvre cher, ce monde ne m’épargnera pas plus qu’il ne t’épargne, il se venge de tous les bonheurs qu’il ne partage pas. Oui, je serai toujours jalousée, ne l’avez-vous pas vu hier ? Ces mouches buveuses de sang sont-elles accourues assez vite pour s’abreuver dans les piqûres qu’elles ont faites ? Mais j’étais heureuse ! je vivais ! Il y a si longtemps que toutes les cordes de mon cœur n’ont résonné !

Des larmes coulèrent sur les joues de Louise, Lucien lui prit une main, et pour toute réponse la baisa longtemps. Les vanités de ce poète furent donc caressées par cette femme comme elles l’avaient été par sa mère, par sa sœur et par David. Chacun autour de lui continuait à exhausser le piédestal imaginaire sur lequel il se mettait. Entretenu par tout le monde, par ses amis comme par la rage de ses ennemis dans ses croyances ambitieuses, il marchait dans une atmosphère pleine de mirages. Les jeunes imaginations sont si naturellement complices de ces louanges et de ces idées, tout s’empresse tant à servir un jeune homme beau, plein d’avenir, qu’il faut plus d’une leçon amère et froide pour dissiper de tels prestiges.

— Tu veux donc bien, ma belle Louise, être ma Béatrix, mais une Béatrix qui se laisse aimer ?

Elle releva ses beaux yeux qu’elle avait tenus baissés, et dit en démentant sa parole par un angélique sourire : — Si vous le méritez… plus tard ! N’êtes-vous pas heureux ? avoir un cœur à soi ! pouvoir tout dire avec la certitude d’être compris, n’est-ce pas le bonheur ?

— Oui, répondit-il en faisant une moue d’amoureux contrarié.