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— Me demander ? Quoi ! rien du tout, mon garçon. Marie-toi, j’y consens ; mais pour te donner quelque chose, je me trouve sans un sou. Les façons m’ont ruiné ! Depuis deux ans, j’avance des façons, des impositions, des frais de toute nature ; le gouvernement prend tout, le plus clair va au gouvernement ! Voilà deux ans que les pauvres vignerons ne font rien. Cette année ne se présente pas mal, eh ! bien, mes gredins de poinçons valent déjà onze francs ! on récoltera pour le tonnelier. Pourquoi te marier avant les vendanges…

— Mon père, je ne viens vous demander que votre consentement.

— Ah ! c’est une autre affaire. À l’encontre de qui te maries-tu, sans curiosité ?

— J’épouse mademoiselle Ève Chardon.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? qu’est-ce qu’elle mange ?

— Elle est fille de feu monsieur Chardon, le pharmacien de l’Houmeau.

— Tu épouses une fille de l’Houmeau, toi, un bourgeois ! toi, l’imprimeur du roi à Angoulême ! Voilà les fruits de l’éducation ! Mettez donc vos enfants au collége ! Ah ! çà, elle est donc bien riche, mon garçon ? dit le vieux vigneron en se rapprochant de son fils d’un air câlin ; car si tu épouses une fille de l’Houmeau, elle doit en avoir des mille et des cent ! Bon ! tu me payeras mes loyers. Sais-tu, mon garçon, que voilà deux ans trois mois de loyers dus, ce qui fait deux mille sept cents francs, qui me viendraient bien à point pour payer le tonnelier. À tout autre qu’à mon fils, je serais en droit de demander des intérêts ; car, après tout, les affaires sont les affaires ; mais je te les remets. Hé ! bien, qu’a-t-elle ?

— Mais elle a ce qu’avait ma mère.

Le vieux vigneron allait dire : — Elle n’a que dix mille francs ! Mais il se souvint d’avoir refusé des comptes à son fils, et s’écria : — Elle n’a rien !

— La fortune de ma mère était son intelligence et sa beauté.

— Va donc au marché avec ça, et tu verras ce qu’on te donnera dessus ! Nom d’une pipe, les pères sont-ils malheureux dans leurs enfants ! David, quand je me suis marié, j’avais sur la tête un bonnet de papier pour toute fortune et mes deux bras, j’étais un pauvre Ours ; mais avec la belle imprimerie que je t’ai donnée, avec ton industrie et tes connaissances, tu dois épouser une bourgeoise