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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

l’on ne faisait pas deux montes par an ! Le chevalier attira les rires sur lui.

— C’est très-possible, dit-il.

Les assistants l’écoutèrent.

— La faute, reprit-il, vient des naturalistes qui n’ont pas encore su contraindre les juments à porter moins de onze mois.

La pauvre fille ne savait pas plus ce qu’était une monte qu’elle ne savait reconnaître un bœuf d’un taureau. Le chevalier de Valois servait une ingrate : jamais mademoiselle Cormon ne comprit un seul de ses chevaleresques services. En voyant la conversation ranimée, elle ne se trouvait pas si bête qu’elle pensait l’être. Enfin, un jour, elle s’établit dans son ignorance, comme le duc de Brancas, le héros du distrait, se posa dans le fossé où il avait versé, et y prit si bien ses aises, que quand on vint l’en retirer, il demanda ce qu’on lui voulait. Depuis cette époque assez récente, mademoiselle de Cormon perdit sa crainte, elle eut un aplomb qui donnait à ses rentrées quelque chose de la solennité avec laquelle les Anglais accomplissent leurs niaiseries patriotiques et qui est comme la fatuité de la bêtise. En arrivant auprès de son oncle d’un pas magistral, elle ruminait donc une question à lui faire pour le tirer de ce silence qui la peinait toujours, car elle le croyait ennuyé.

— Mon oncle, lui dit-elle en se pendant à son bras et se collant joyeusement à son côté (c’était encore une de ses fictions, elle pensait : — Si j’avais un mari, je serais ainsi !) ; mon oncle, si tout arrive ici-bas par la volonté de Dieu, il y a donc une raison de toute chose ?

— Certes, fit gravement l’abbé de Sponde qui chérissant sa nièce se laissait toujours arracher à ses méditations avec une patience angélique.

— Alors, si je reste fille, une supposition, Dieu le veut ?

— Oui, mon enfant, dit l’abbé.

— Mais, cependant, comme rien ne m’empêche de me marier demain, sa volonté peut être détruite par la mienne ?

— Cela serait vrai, si nous connaissions la véritable volonté de Dieu, répondit l’ancien prieur de Sorbonne. Remarque donc ma fille que tu mets un si ?

La pauvre fille, qui avait espéré entraîner son oncle dans une discussion matrimoniale par un argument ad omnipotentem, resta stupéfaite ; mais les personnes dont l’esprit est obtus suivent