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LE LYS DE LA VALLÉE.

à nu votre désenchantement, qui découragent l’amour et forcent une femme à douter d’elle-même. L’amour, cher comte, ne vit que de confiance. La femme qui, avant de dire une parole, ou de monter à cheval, se demande si une céleste Henriette ne parlait pas mieux, si une écuyère comme Arabelle ne déployait pas plus de grâces, cette femme-là, soyez-en sûr, aura les jambes et la langue tremblantes. Vous m’avez donné le désir de recevoir quelques-uns de vos bouquets enivrants, mais vous n’en composez plus. Il est ainsi une foule de choses que vous n’osez plus faire, de pensées et de jouissances qui ne peuvent plus renaître pour vous. Nulle femme, sachez-le bien, ne voudra coudoyer dans votre cœur la morte que vous y gardez. Vous me priez de vous aimer par charité chrétienne. Je puis faire, je vous l’avoue, une infinité de choses par charité, tout, excepté l’amour. Vous êtes parfois ennuyeux et ennuyé, vous appelez votre tristesse du nom de mélancolie : à la bonne heure ; mais vous êtes insupportable et vous donnez de cruels soucis à celle qui vous aime. J’ai trop souvent rencontré entre nous deux la tombe de la sainte : je me suis consultée, je me connais et je ne voudrais pas mourir comme elle. Si vous avez fatigué lady Dudley, qui est une femme extrêmement distinguée, moi qui n’ai pas ses désirs furieux, j’ai peur de me refroidir plus tôt qu’elle encore. Supprimons l’amour entre nous, puisque vous ne pouvez plus en goûter le bonheur qu’avec les mortes, et restons amis, je le veux. Comment, cher comte ? vous avez eu pour votre début une adorable femme, une maîtresse parfaite qui songeait à votre fortune, qui vous a donné la pairie, qui vous aimait avec ivresse, qui ne vous demandait que d’être fidèle, et vous l’avez fait mourir de chagrin ; mais je ne sais rien de plus monstrueux. Parmi les plus ardents et les plus malheureux jeunes gens qui traînent leurs ambitions sur le pavé de Paris, quel est celui qui ne resterait pas sage pendant dix ans pour obtenir la moitié des faveurs que vous n’avez pas su reconnaître ? Quand on est aimé ainsi, que peut-on demander de plus ? Pauvre femme ! elle a bien souffert, et quand vous avez fait quelques phrases sentimentales, vous vous croyez quitte avec son cercueil. Voilà sans doute le prix qui attend ma tendresse pour vous. Merci, cher comte, je ne veux de rivale ni au delà ni en deçà de la tombe. Quand on a sur la conscience de pareils crimes, au moins ne faut-il pas les dire. Je vous ai fait une impru-