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LE LYS DE LA VALLÉE.

manquait à mon désastre. Je suivis le plan que j’avais arrêté pendant ma retraite à Saché. Je me jetai dans le travail, je m’occupai de science, de littérature et de politique ; j’entrai dans la diplomatie à l’avénement de Charles X qui supprima l’emploi que j’occupais sous le feu roi. Dès ce moment je résolus de ne jamais faire attention à aucune femme si belle, si spirituelle, si aimante qu’elle pût être. Ce parti me réussit à merveille : j’acquis une tranquillité d’esprit incroyable, une grande force pour le travail, et je compris tout ce que ces femmes dissipent de notre vie en croyant nous avoir payé par quelques paroles gracieuses. Mais toutes mes résolutions échouèrent : vous savez comment et pourquoi. Chère Nathalie, en vous disant ma vie sans réserve et sans artifice, comme je me la dirais à moi-même ; en vous racontant des sentiments où vous n’étiez pour rien, peut-être ai-je froissé quelque pli de votre cœur jaloux et délicat ; mais ce qui courroucerait une femme vulgaire sera pour vous, j’en suis sûr, une nouvelle raison de m’aimer. Auprès des âmes souffrantes et malades, les femmes d’élite ont un rôle sublime à jouer, celui de la sœur de charité qui panse les blessures, celui de la mère qui pardonne à l’enfant. Les artistes et les grands poètes ne sont pas seuls à souffrir : les hommes qui vivent pour leurs pays, pour l’avenir des nations, en élargissant le cercle de leurs passions et de leurs pensées, se font souvent une bien cruelle solitude. Ils ont besoin de sentir à leurs côtés un amour pur et dévoué ; croyez bien qu’ils en comprennent la grandeur et le prix. Demain, je saurai si je me suis trompé en vous aimant.