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LE LYS DE LA VALLÉE.

autorité si je vous aimais moins ; mais je préfère vous la laisser prendre de vous-même, par l’effet d’un saint repentir, et aussi comme une continuation de votre amour : l’amour ne fut-il pas en nous constamment mêlé de repentantes méditations et de craintes expiatoires ? Et, je le sais, nous nous aimons toujours. Votre faute n’est pas si funeste par vous que le retentissement que je lui ai donné au dedans de moi-même. Ne vous avais-je pas dit que j’étais jalouse, mais jalouse à mourir ? eh ! bien, je meurs. Consolez-vous, cependant : nous avons satisfait aux lois humaines. L’Église, par une de ses voix les plus pures, m’a dit que Dieu serait indulgent à ceux qui avaient immolé leurs penchants naturels à ses commandements. Mon aimé, apprenez donc tout, car je ne veux pas que vous ignoriez une seule de mes pensées. Ce que je confierai à Dieu dans mes derniers moments, vous devez le savoir aussi, vous le roi de mon cœur, comme il est le roi du ciel. Jusqu’à cette fête donnée au duc d’Angoulême, la seule à laquelle j’aie assisté, le mariage m’avait laissée dans l’ignorance qui donne à l’âme des jeunes filles la beauté des anges. J’étais mère, il est vrai ; mais l’amour ne m’avait point environnée de ses plaisirs permis. Comment suis-je restée ainsi ? je n’en sais rien ; je ne sais pas davantage par quelles lois tout en moi fut changé dans un instant. Vous souvenez-vous encore aujourd’hui de vos baisers ? ils ont dominé ma vie, ils ont sillonné mon âme ; l’ardeur de votre sang a réveillé l’ardeur du mien ; votre jeunesse a pénétré ma jeunesse, vos désirs sont entrés dans mon cœur. Quand je me suis levée si fière, j’éprouvais une sensation pour laquelle je ne sais de mot dans aucun langage, car les enfants n’ont pas encore trouvé de parole pour exprimer le mariage de la lumière et de leurs yeux, ni le baiser de la vie sur leurs lèvres. Oui, c’était bien le son arrivé dans l’écho, la lumière jetée dans les ténèbres, le mouvement donné à l’univers, ce fut du moins rapide comme toutes ces choses ; mais beaucoup plus beau, car c’était la vie de l’âme ! Je compris qu’il existait je ne sais quoi d’inconnu pour moi dans le monde, une force plus belle que la pensée, c’était toutes les pensées, toutes les forces, tout un avenir dans une émotion partagée. Je ne me sentis plus mère qu’à demi. En tombant sur mon cœur, ce coup de foudre y alluma des désirs qui sommeillaient à mon insu ; je devinai soudain tout ce que voulait dire ma tante quand elle me