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LE LYS DE LA VALLÉE.

des plaintes peu chrétiennes qui avaient pu scandaliser ses gens ; elle avait repoussé ses enfants, elle avait conçu des sentiments peu convenables ; mais elle rejeta ce défaut de soumission aux volontés de Dieu sur ses intolérables douleurs. Enfin elle remercia publiquement avec une touchante effusion de cœur l’abbé Birotteau de lui avoir montré le néant des choses humaines. Quand elle eut cessé de parler, les prières commencèrent ; puis le curé de Saché lui donna le viatique. Quelques moments après, sa respiration s’embarrassa, un nuage se répandit sur ses yeux qui bientôt se rouvrirent, elle me lança un dernier regard, et mourut aux yeux de tous, en entendant peut-être le concert de nos sanglots. Par un hasard assez naturel à la campagne, nous entendîmes alors le chant alternatif de deux rossignols qui répétèrent plusieurs fois leur note unique, purement filée comme un tendre appel. Au moment où son dernier soupir s’exhala, dernière souffrance d’une vie qui fut une longue souffrance, je sentis en moi-même un coup par lequel toutes mes facultés furent atteintes. Le comte et moi, nous restâmes auprès du lit funèbre pendant toute la nuit, avec les deux abbés et le curé, veillant à la lueur des cierges, la morte étendue sur le sommier de son lit ; maintenant calme, là où elle avait tant souffert. Ce fut ma première communication avec la mort. Je demeurai pendant toute cette nuit les yeux attachés sur Henriette, fasciné par l’expression pure que donne l’apaisement de toutes les tempêtes, par la blancheur du visage que je douais encore de ses innombrables affections, mais qui ne répondait plus à mon amour. Quelle majesté dans ce silence et dans ce froid ! combien de réflexions n’exprime-t-il pas ? Quelle beauté dans ce repos absolu, quel despotisme dans cette immobilité : tout le passé s’y trouve encore, et l’avenir y commence. Ah ! je l’aimais morte, autant que je l’aimais vivante. Au matin, le comte s’alla coucher, les trois prêtres fatigués s’endormirent à cette heure pesante, si connue de ceux qui veillent. Je pus alors, sans témoins, la baiser au front avec tout l’amour qu’elle ne m’avait jamais permis d’exprimer.

Le surlendemain, par une fraîche matinée d’automne, nous accompagnâmes la comtesse à sa dernière demeure. Elle était portée par le vieux piqueur, les deux Martineau et le mari de Manette. Nous descendîmes par le chemin que j’avais si joyeusement monté le jour où je la retrouvai ; nous traversâmes la vallée de l’Indre pour arriver au petit cimetière du Saché ; pauvre cimetière de vil-