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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Blanche, Blanche, s’écria le vieillard en versant soudain des larmes sur la tête de sa femme, veux-tu me faire mourir ? Il l’éleva jusqu’à lui avec une force inusitée, la baisa saintement au front, et, la gardant ainsi : N’ai-je pas des pardons à te demander ? reprit-il. N’ai-je pas été souvent dur, moi ? Ne grossis-tu pas des scrupules d’enfant ?

— Peut-être, reprit-elle. Mais, mon ami, soyez indulgent aux faiblesses des mourants, tranquillisez-moi. Quand vous arriverez à cette heure, vous penserez que je vous ai quitté vous bénissant. Me permettez-vous de laisser à notre ami que voici ce gage d’un sentiment profond, dit-elle en montrant une lettre qui était sur la cheminée ? il est maintenant mon fils d’adoption, voilà tout. Le cœur, cher comte, a ses testaments : mes derniers vœux imposent à ce cher Félix des œuvres sacrées à accomplir, je ne crois pas avoir trop présumé de lui, faites que je n’aie pas trop présumé de vous en me permettant de lui léguer quelques pensées. Je suis toujours femme, dit-elle en penchant la tête avec une suave mélancolie, après mon pardon je vous demande une grâce. — Lisez ; mais seulement après ma mort, me dit-elle en me tendant le mystérieux écrit.

Le comte vit pâlir sa femme, il la prit et la porta lui-même sur le lit, où nous l’entourâmes.

— Félix, me dit-elle, je puis avoir des torts envers vous. Souvent j’ai pu vous causer quelques douleurs en vous laissant espérer des joies devant lesquelles j’ai reculé ; mais n’est-ce pas au courage de l’épouse et de la mère que je dois de mourir réconciliée avec tous ? Vous me pardonnerez donc aussi, vous qui m’avez accusée si souvent, et dont l’injustice me faisait plaisir !

L’abbé Birotteau mit un doigt sur ses lèvres. À ce geste, la mourante pencha la tête, une faiblesse survint, elle agita les mains pour dire de faire entrer le clergé, ses enfants et ses domestiques ; puis elle me montra par un geste impérieux le comte anéanti et ses enfants qui survinrent. La vue de ce père de qui seuls nous connaissions la secrète démence, devenu le tuteur de ces êtres si délicats, lui inspira de muettes supplications qui tombèrent dans mon âme comme un feu sacré. Avant de recevoir l’extrême-onction, elle demanda pardon à ses gens de les avoir quelquefois brusqués ; elle implora leurs prières, et les recommanda tous individuellement au comte ; elle avoua noblement avoir proféré, durant ce dernier mois,