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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Dans ces affreux moments quoique chacun en sache l’inévitable fin, les affections vraies deviennent folles et s’attachent à de petits bonheurs. Les minutes sont des siècles que l’on voudrait rendre bienfaisants. On voudrait que les malades reposassent sur des roses, on voudrait prendre leurs souffrances, on voudrait que le dernier soupir fût pour eux inattendu.

— Monsieur Deslandes a fait enlever les fleurs qui agissaient trop fortement sur les nerfs de madame, me dit Manette.

Ainsi donc les fleurs avaient causé son délire, elle n’en était pas complice. Les amours de la terre, les fêtes de la fécondation, les caresses des plantes l’avaient enivrée de leurs parfums et sans doute avaient réveillé les pensées d’amour heureux qui sommeillaient en elle depuis sa jeunesse.

— Venez donc, monsieur Félix, me dit-elle, venez voir madame, elle est belle comme un ange.

Je revins chez la mourante au moment où le soleil se couchait et dorait la dentelle des toits du château d’Azay. Tout était calme et pur. Une douce lumière éclairait le lit où reposait Henriette baignée d’opium. En ce moment le corps était pour ainsi dire annulé ; l’âme seule régnait sur ce visage, serein comme un beau ciel après la tempête. Blanche et Henriette, ces deux sublimes faces de la même femme, reparaissaient d’autant plus belles que mon souvenir, ma pensée, mon imagination, aidant la nature, réparaient les altérations de chaque trait où l’âme triomphante envoyait ses lueurs par des vagues confondues avec celles de la respiration. Les deux abbés étaient assis auprès du lit. Le comte resta foudroyé, debout, en reconnaissant les étendards de la mort qui flottaient sur cette créature adorée. Je pris sur le canapé la place qu’elle avait occupée. Puis nous échangeâmes tous quatre des regards où l’admiration de cette beauté céleste se mêlait à des larmes de regret. Les lumières de la pensée annonçaient le retour de Dieu dans un de ses plus beaux tabernacles. L’abbé de Dominis et moi, nous nous parlions par signes, en nous communiquant des idées mutuelles. Oui, les anges veillaient Henriette ! Oui, leurs glaives brillaient au-dessus de ce noble front où revenaient les augustes expressions de la vertu qui en faisaient jadis comme une âme visible avec laquelle s’entretenaient les esprits de sa sphère. Les ligues de son visage se purifiaient, en elle tout s’agrandissait et devenait majestueux sous les invisibles encensoirs des Séraphins qui la gardaient.