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fixe, le clergé, la magistrature, exerce une grande influence. La raison et l’esprit du pays résident dans cette société solide et sans faste où chacun connaît les revenus du voisin, où l’on professe une parfaite indifférence du luxe et de la toilette, jugés comme des enfantillages en comparaison d’un mouchoir à bœufs de dix ou douze arpents dont l’acquisition a été couvée pendant des années, et qui a donné lieu à d’immenses combinaisons diplomatiques. Inébranlable dans ses préjugés bons ou mauvais, ce cénacle suit une même voie, sans regarder ni en avant ni en arrière. Il n’admet rien de Paris sans un long examen, se refuse aux cachemires aussi bien qu’aux inscriptions sur le Grand-Livre, se moque des nouveautés, ne lit rien et veut tout ignorer : science, littérature, inventions industrielles. Il obtient le changement d’un préfet qui ne convient pas, et si l’administrateur résiste, il l’isole à la manière des abeilles qui couvrent de cire un colimaçon venu dans leur ruche. Enfin, là, les bavardages deviennent souvent de solennels arrêts. Aussi, quoiqu’il ne s’y fasse que des parties de jeu, les jeunes femmes y apparaissent-elles de loin en loin ; elles y viennent chercher une approbation de leur conduite, une consécration de leur importance. Cette suprématie accordée à une maison froisse souvent l’amour-propre de quelques naturels du pays qui se consolent en supputant la dépense qu’elle impose, et dont ils profitent. S’il ne se rencontre pas de fortune assez considérable pour tenir maison ouverte, les gros bonnets choisissent pour lieu de réunion, comme faisaient les gens d’Alençon, la maison d’une personne inoffensive de qui la vie arrêtée, dont le caractère ou la position laisse la société maîtresse chez elle, en ne portant ombrage ni aux vanités, ni aux intérêts de chacun. Ainsi, la haute société d’Alençon se réunissait depuis long-temps chez la vieille fille dont la fortune était à son insu couchée en joue par madame Granson, son arrière-petite-cousine, et par les deux vieux garçons dont les secrètes espérances viennent d’être dévoilées. Cette demoiselle vivait avec son oncle maternel, un ancien Grand-Vicaire de l’Évêché de Séez, autrefois son tuteur, et de qui elle devait hériter. La famille, que représentait alors Rose-Marie-Victoire Cormon, comptait autrefois parmi les plus considérables de la province ; quoique roturière, elle frayait avec la noblesse à laquelle elle s’était souvent alliée, elle avait fourni jadis des intendants aux ducs d’Alençon, force magistrats à la Robe et plusieurs évêques au Clergé. Monsieur de Sponde, le grand-père