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LE LYS DE LA VALLÉE.

bourreau marquant d’avance sa proie afin de se l’approprier, elle voulait me compromettre à la face de tout Paris pour faire de moi son sposo. Aussi employa-t-elle ses coquetteries à me garder chez elle, car elle n’était pas contente de son élégant esclandre qui, faute de preuves, n’encourageait que les chuchotteries sous l’éventail. En la voyant si heureuse de commettre une imprudence qui dessinerait franchement sa position, comment n’aurais-je pas cru à son amour ? Une fois plongé dans les douceurs d’un mariage illicite, le désespoir me saisit, car je voyais ma vie arrêtée au rebours des idées reçues et des recommandations d’Henriette. Je vécus alors avec l’espèce de rage qui saisit un poitrinaire quand, pressentant sa fin, il ne veut pas qu’on interroge le bruit de sa respiration. Il y avait un coin de mon cœur où je ne pouvais me retirer sans souffrance ; un esprit vengeur me jetait incessamment des idées sur lesquelles je n’osais m’appesantir. Mes lettres à Henriette peignaient cette maladie morale, et lui causaient un mal infini. « Au prix de tant de trésors perdus, elle me voulait au moins heureux ! » me dit-elle dans la seule réponse que je reçus. Et je n’étais pas heureux ! Chère Natalie, le bonheur est absolu, il ne souffre pas de comparaisons. Ma première ardeur passée, je comparai nécessairement ces deux femmes l’une à l’autre, contraste que je n’avais pas encore pu étudier. En effet, toute grande passion pèse si fortement sur notre caractère qu’elle en refoule d’abord les aspérités et comble la trace des habitudes qui constituent nos défauts ou nos qualités ; mais plus tard, chez deux amants bien accoutumés l’un à l’autre, les traits de la physionomie morale reparaissent ; tous deux se jugent alors mutuellement, et souvent il se déclare, durant cette réaction du caractère sur la passion, des antipathies qui préparent ces désunions dont s’arment les gens superficiels pour accuser le cœur humain d’instabilité. Cette période commence donc. Moins aveuglé par les séductions, et détaillant pour ainsi dire mon plaisir, j’entrepris, sans le vouloir peut-être, un examen qui nuisit à lady Dudley.

Je lui trouvai d’abord en moins l’esprit qui distingue la Française entre toutes les femmes, et la rend la plus délicieuse à aimer, selon l’aveu des gens que les hasards de leur vie ont mis à même d’éprouver les manières d’aimer de chaque pays. Quand une Française aime, elle se métamorphose ; sa coquetterie si vantée, elle l’emploie à parer son amour ; sa vanité si dangereuse, elle l’immole et met toutes ses prétentions à bien aimer. Elle épouse