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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

du cabinet royal. Qui pouvait résister à l’esprit déflorateur de Louis XVIII, lui qui disait qu’on n’a de véritables passions que dans l’âge mûr, parce que la passion n’est belle et furieuse que quand il s’y mêle de l’impuissance et qu’on se trouve alors à chaque plaisir comme un joueur à son dernier enjeu. Quand je fus au bout de l’avenue, je me retournai et la franchis en un clin-d’œil en voyant qu’Henriette y était encore, elle seule ! Je vins lui dire un dernier adieu, mouillé de larmes expiatrices dont la cause lui fut cachée. Larmes sincères, accordées sans le savoir à ces belles amours à jamais perdues, à ces vierges émotions, à ces fleurs de la vie qui ne renaissent plus ; car, plus tard, l’homme ne donne plus, il reçoit ; il s’aime lui-même dans sa maîtresse ; tandis qu’au jeune âge il aime sa maîtresse en lui : plus tard nous inoculons nos goûts, nos vices peut-être à la femme qui nous aime ; tandis qu’au début de la vie, celle que nous aimons nous impose ses vertus, ses délicatesses ; elle nous convie au beau par un sourire, et nous apprend le dévouement par son exemple. Malheur à qui n’a pas eu son Henriette ! Malheur à qui n’a pas connu quelque lady Dudley ! S’il se marie, celui-ci ne gardera pas sa femme, celui-là sera peut-être abandonné par sa maîtresse ; mais heureux qui peut trouver les deux en une seule ; heureux, Natalie, l’homme que vous aimez !

De retour à Paris, Arabelle et moi nous devînmes plus intimes que par le passé. Bientôt nous abolîmes insensiblement l’un et l’autre les lois de convenance que je m’étais imposées, et dont la stricte observation fait souvent pardonner par le monde la fausseté de la position où s’était mise lady Dudley. Le monde, qui aime tant à pénétrer au delà des apparences, les légitime dès qu’il connaît le secret qu’elles enveloppent. Les amants forcés de vivre au milieu du grand monde auront toujours tort de renverser ces barrières exigées par la jurisprudence des salons, tort de ne pas obéir scrupuleusement à toutes les conventions imposées par les mœurs ; il s’agit alors moins des autres que d’eux-mêmes. Les distances à franchir, le respect extérieur à conserver, les comédies à jouer, le mystère à obscurcir, toute cette stratégie de l’amour heureux occupe la vie, renouvelle le désir et protége notre cœur contre les relâchements de l’habitude. Mais essentiellement dissipatrices, les premières passions, de même que les jeunes gens, coupent leurs forêts à blanc au lieu de les aménager. Arabelle n’adoptait pas ces idées bourgeoises, elle s’y était pliée pour me plaire ; semblable au