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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Je suis enchantée, dit-elle quand nous fûmes seuls, de connaître ton goût pour ces sortes de conversations chrétiennes ; il existe dans une de mes terres un vicaire qui s’entend comme personne à composer des sermons, nos paysans les comprennent, tant cette prose est bien appropriée à l’auditeur. J’écrirai demain à mon père de m’envoyer ce bonhomme par le paquebot, et tu le trouveras à Paris ; quand tu l’auras une fois écouté, tu ne voudras plus écouter que lui, d’autant plus qu’il jouit aussi d’une parfaite santé ; sa morale ne te causera point de ces secousses qui font pleurer, elle coule sans tempêtes, comme une source claire, et procure un délicieux sommeil. Tous les soirs, si cela te plaît, tu satisferas ta passion pour les sermons en digérant ton dîner. La morale anglaise, cher enfant, est aussi supérieure à celle de Touraine que notre coutellerie, notre argenterie et nos chevaux le sont à vos couteaux et à vos bêtes. Fais-moi la grâce d’entendre mon vicaire, promets-le-moi ? Je ne suis que femme, mon amour, je sais aimer, je puis mourir pour toi si tu le veux ; mais je n’ai point étudié à Eton, ni à Oxford, ni à Edimbourg ; je ne suis ni docteur, ni révérend ; je ne saurais donc te préparer de la morale, j’y suis tout à fait impropre, je serais de la dernière maladresse si j’essayais. Je ne te reproche pas tes goûts, tu en aurais de plus dépravés que celui-ci, je tâcherais de m’y conformer ; car je veux te faire trouver près de moi tout ce que tu aimes, plaisirs d’amour, plaisirs de table, plaisirs d’église, bon claret et vertus chrétiennes. Veux-tu que je mette un cilice ce soir ? Elle est bien heureuse, cette femme, de te servir de la morale ! Dans quelle université les femmes françaises prennent-elles leurs grades ? Pauvre moi ! je ne puis que me donner, je ne suis que ton esclave…

— Alors, pourquoi t’es-tu donc enfuie quand je voulais vous voir ensemble ?

— Es-tu fou, my dee ? J’irais de Paris à Rome déguisée en laquais, je ferais pour toi les choses les plus déraisonnables ; mais comment puis-je parler sur les chemins à une femme qui ne m’a pas été présentée et qui allait commencer un sermon en trois points ? Je parlerai à des paysans, je demanderai à un ouvrier de partager son pain avec moi, si j’ai faim, je lui donnerai quelques guinées, et tout sera convenable ; mais arrêter une calèche, comme font les gentilshommes de grande route en Angleterre, ceci n’est pas dans mon code, à moi. Tu ne sais donc qu’aimer, pauvre enfant, tu ne sais donc pas vivre ? D’ailleurs, je ne te ressemble pas encore complé-