Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/459

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
433
LE LYS DE LA VALLÉE.

vallée, vous souffrez dans les airs comme l’aigle qui plane en emportant au cœur une flèche décochée par quelque pâtre grossier. Je comprends aujourd’hui que le ciel et la terre sont incompatibles. Oui, pour qui veut vivre dans la zone céleste, Dieu seul est possible. Notre âme doit être alors détachée de toutes les choses terrestres. Il faut aimer ses amis comme on aime ses enfants, pour eux et non pour soi. Le moi cause les malheurs et les chagrins. Mon cœur ira plus haut que ne va l’aigle ; là est un amour qui ne me trompera point. Quant à vivre de la vie terrestre, elle nous ravale trop en faisant dominer l’égoïsme des sens sur la spiritualité de l’ange qui est en nous. Les jouissances que donne la passion sont horriblement orageuses, payées par d’énervantes inquiétudes qui brisent les ressorts de l’âme. Je suis venue au bord de la mer où s’agitent ces tempêtes, je les ai vues de trop près ; elles m’ont souvent enveloppée de leurs nuages, la lame ne s’est pas toujours brisée à mes pieds, j’ai senti sa rude étreinte qui froidit le cœur ; je dois me retirer sur les hauts lieux, je périrais au bord de cette mer immense. Je vois en vous, comme en tous ceux qui m’ont affligée, les gardiens de ma vertu. Ma vie a été mêlée d’angoisses heureusement proportionnées à mes forces, et s’est entretenue ainsi pure des passions mauvaises, sans repos séducteur et toujours prête à Dieu. Notre attachement fut la tentative insensée, l’effort de deux enfants candides essayant de satisfaire leur cœur, les hommes et Dieu… Folie, Félix ! Ha ! dit-elle après une pause, comment vous nomme cette femme ?

— Amédée, répondis-je, Félix est un être à part, qui n’appartiendra jamais qu’à vous.

— Henriette a peine à mourir, dit-elle en laissant échapper un pieux sourire. Mais, reprit-elle, elle périra dans le premier effort de la chrétienne humble, de la mère orgueilleuse, de la femme aux vertus chancelantes hier, raffermies aujourd’hui. Que vous dirai-je ? Hé ! bien, oui, ma vie est conforme à elle-même dans ses plus grandes circonstances comme dans ses plus petites. Le cœur où je devais attacher les premières racines de la tendresse, le cœur de ma mère s’est fermé pour moi, malgré ma persistance à y chercher un pli où je pusse me glisser. J’étais fille, je venais après trois garçons morts, et je tâchai vainement d’occuper leur place dans l’affection de mes parents ; je ne guérissais point la plaie faite à l’orgueil de la famille. Quand, après cette sombre en-