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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

moment où le comte revint. Je suis mieux, dit-elle en se levant, il me faut de l’air.

Nous descendîmes tous sur la terrasse embaumée par les acacias encore en fleurs. Elle avait pris mon bras droit et le serrait contre son cœur en exprimant ainsi de douloureuses pensées ; mais c’était, suivant son expression, de ces douleurs qu’elle aimait. Elle voulait sans doute être seule avec moi ; mais son imagination inhabile aux ruses de femme ne lui suggérait aucun moyen de renvoyer ses enfants et son mari ; nous causions donc de choses indifférentes, pendant qu’elle se creusait la tête en cherchant à se ménager un moment où elle pourrait enfin décharger son cœur dans le mien.

— Il y a bien long-temps que je ne me suis promenée en voiture, dit-elle enfin en voyant la beauté de la soirée. Monsieur, donnez des ordres, je vous prie, pour que je puisse aller faire un tour.

Elle savait qu’avant la prière toute explication serait impossible, et craignait que le comte ne voulût faire un trictrac. Elle pouvait bien se trouver avec moi sur cette tiède terrasse embaumée, quand son mari serait couché ; mais elle redoutait peut-être de rester sous ces ombrages à travers lesquels passaient des lueurs voluptueuses, de se promener le long de la balustrade d’où nos yeux embrassaient le cours de l’Indre dans la prairie. De même qu’une cathédrale aux voûtes sombres et silencieuses conseille la prière ; de même, les feuillages éclairés par la lune, parfumés de senteurs pénétrantes, et animés par les bruits sourds du printemps, remuent les fibres et affaiblissent la volonté. La campagne, qui calme les passions des vieillards, excite celles des jeunes cœurs ; nous le savions ! Deux coups de cloche annoncèrent l’heure de la prière, la comtesse tressaillit.

— Ma chère Henriette, qu’avez-vous ?

— Henriette n’existe plus, répondit-elle. Ne la faites pas renaître, elle était exigeante, capricieuse ; maintenant vous avez une paisible amie dont la vertu vient d’être raffermie par des paroles que le Ciel vous a dictées. Nous parlerons de tout ceci plus tard. Soyons exacts à la prière. Aujourd’hui, mon tour de la dire est arrivé.

Quand la comtesse prononça les paroles par lesquelles elle demandait à Dieu son secours contre les adversités de la vie, elle y mit un accent dont je ne fus pas frappé seul ; elle semblait avoir usé de son don de seconde vue pour entrevoir la terrible émotion