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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

d’un monde meilleur. Malheur à ceux qui se plaindraient d’avoir marché dans la bonne voie !

Elle se mit alors à si bien évaluer la vie, à la si profondément considérer sous ses diverses faces, que ces froids calculs me révélèrent le dégoût qui l’avait saisie pour toutes les choses d’ici-bas. En arrivant sur le perron, elle quitta mon bras, et dit cette dernière phrase : — Si Dieu nous a donné le sentiment et le goût du bonheur, ne doit-il pas se charger des âmes innocentes qui n’ont trouvé que des afflictions ici-bas. Cela est, ou Dieu n’est pas, ou notre vie serait une amère plaisanterie.

À ces derniers mots, elle rentra brusquement, et je la trouvai sur son canapé, couchée comme si elle avait été foudroyée par la voix qui terrassa saint Paul.

— Qu’avez-vous ? lui dis-je.

— Je ne sais plus ce qu’est la vertu, dit-elle, et n’ai pas conscience de la mienne !

Nous restâmes pétrifiés tous deux, écoutant le son de cette parole comme celui d’une pierre jetée dans un gouffre.

— Si je me suis trompée dans ma vie, elle a raison, elle ! reprit madame de Mortsauf.

Ainsi son dernier combat suivit sa dernière volupté. Quand le comte vint, elle se plaignit, elle qui ne se plaignait jamais ; je la conjurai de me préciser ses souffrances, mais elle refusa de s’expliquer, et s’alla coucher en me laissant en proie à des remords qui naissaient les uns des autres. Madeleine accompagna sa mère ; et le lendemain je sus par elle que la comtesse avait été prise de vomissements causés, dit-elle par les violentes émotions de cette journée. Ainsi, moi qui souhaitais donner ma vie pour elle, je la tuais.

— Cher comte, dis-je à monsieur de Mortsauf qui me força de jouer au trictrac, je crois la comtesse très-sérieusement malade, il est encore temps de la sauver ; appelez Origet, et suppliez-la de suivre ses avis…

— Origet qui m’a tué ? dit-il en m’interrompant. Non, non, je consulterai Carbonneau.

Pendant cette semaine, et surtout les premiers jours, tout me fut souffrance, commencement de paralysie au cœur, blessure à la vanité, blessure à l’âme. Il faut avoir été le centre de tout, des regards et des soupirs, avoir été le principe de la vie, le foyer d’où