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LE LYS DE LA VALLÉE.

sinent les âmes nobles soit le temps où leurs femmes prodiguent une affection qui semble leur être volée ; non ! ils sont odieux et insupportables le jour où cet amour s’envole. La bonne intelligence, condition essentielle aux attachements de ce genre, apparaît alors comme un moyen ; elle pèse alors, elle est horrible comme tout moyen que sa fin ne justifie plus.

— Mon cher Félix, me dit le comte en me prenant les mains et me les serrant affectueusement, pardonnez à madame de Mortsauf, les femmes ont besoin d’être quinteuses, leur faiblesse les excuse, elles ne sauraient avoir l’égalité d’humeur que nous donne la force du caractère. Elle vous aime beaucoup, je le sais ; mais…

Pendant que le comte parlait, madame de Mortsauf s’éloigna de nous insensiblement de manière à nous laisser seuls.

— Félix, me dit-il alors à voix basse en contemplant sa femme qui remontait au château accompagnée de ses deux enfants, j’ignore ce qui se passe dans l’âme de madame de Mortsauf, mais son caractère a complétement changé depuis six semaines. Elle si douce, si dévouée jusqu’ici, devient d’une maussaderie incroyable !

Manette m’apprit plus tard que la comtesse était tombée dans un abattement qui la rendait insensible aux tracasseries du comte. En ne rencontrant plus de terre molle où planter ses flèches, cet homme était devenu inquiet comme l’enfant qui ne voit plus remuer le pauvre insecte qu’il tourmente. En ce moment il avait besoin d’un confident comme l’exécuteur a besoin d’un aide.

— Essayez, dit-il après une pause de questionner madame de Mortsauf. Une femme a toujours des secrets pour son mari ; mais elle vous confiera peut-être le sujet de ses peines. Dût-il m’en coûter la moitié des jours qui me restent et la moitié de ma fortune, je sacrifierais tout pour la rendre heureuse. Elle est si nécessaire à ma vie ! Si dans ma vieillesse je ne sentais pas toujours cet ange à mes côtés, je serais le plus malheureux des hommes ! je voudrais mourir tranquille. Dites-lui donc qu’elle n’a pas long-temps à me supporter. Moi, Félix, mon pauvre ami, je m’en vais, je le sais. Je cache à tout le monde la fatale vérité, pourquoi les affliger par avance ? Toujours le pylore, mon ami ! J’ai fini par saisir les causes de la maladie, la sensibilité m’a tué. En effet, toutes nos affections frappent sur le centre gastrique…