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LE LYS DE LA VALLÉE.

méthodique dans les habitudes, les conduit à l’adoration du romanesque et du difficile. Je ne sus pas juger ce caractère. Plus je me renfermais dans un froid dédain, plus lady Dudley se passionnait. Cette lutte, dont elle se faisait gloire, excita la curiosité de quelques salons, ce fut pour elle un premier bonheur qui lui faisait une obligation du triomphe. Ah ! j’eusse été sauvé, si quelque ami m’avait répété le mot atroce qui lui échappa sur madame de Mortsauf et sur moi.

— Je suis, dit-elle, ennuyée de ces soupirs de tourterelle !

Sans vouloir ici justifier mon crime, je vous ferai observer, Natalie, qu’un homme a moins de ressources pour résister à une femme que vous n’en avez pour échapper à nos poursuites. Nos mœurs interdisent à notre sexe les brutalités de la répression qui, chez vous, sont des amorces pour un amant, et que d’ailleurs les convenances vous imposent ; à nous, au contraire, je ne sais quelle jurisprudence de fatuité masculine ridiculise notre réserve ; nous vous laissons le monopole de la modestie pour que vous ayez le privilège des faveurs ; mais intervertissez les rôles, l’homme succombe sous la moquerie. Quoique gardé par ma passion, je n’étais pas à l’âge où l’on reste insensible aux triples séductions de l’orgueil, du dévouement et de la beauté. Quand lady Arabelle mettait à mes pieds, au milieu d’un bal dont elle était la reine, les hommages qu’elle y recueillait, et qu’elle épiait mon regard pour savoir si sa toilette était de mon goût, et qu’elle frissonnait de volupté lorsqu’elle me plaisait, j’étais ému de son émotion. Elle se tenait d’ailleurs sur un terrain où je ne pouvais pas la fuir, il m’était difficile de refuser certaines invitations parties du cercle diplomatique ; sa qualité lui ouvrait tous les salons, et avec cette adresse que les femmes déploient pour obtenir ce qui leur plaît, elle se faisait placer à table par la maîtresse de la maison auprès de moi ; puis elle me parlait à l’oreille. — « Si j’étais aimée comme l’est madame de Mortsauf, me disait-elle, je vous sacrifierais tout. » Elle me soumettait en riant les conditions les plus humbles, elle me promettait une discrétion à toute épreuve, ou me demandait de souffrir seulement qu’elle m’aimât. Elle me disait un jour ces mots qui satisfaisaient toutes les capitulations d’une conscience timorée et les effrénés désirs du jeune homme : « — Votre amie toujours, et votre maîtresse quand vous le voudrez ! » Enfin elle médita de faire servir à ma perte la loyauté même de mon caractère, elle ga-