Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
399
LE LYS DE LA VALLÉE.

accablée de fatigue ; mais si par hasard en ces moments de lassitude il s’agissait de moi, pour moi comme pour ses enfants elle trouvait de nouvelles forces, elle s’élançait agile, vive et joyeuse. Comme elle aimait à jeter sa tendresse en rayons dans l’air ! Ah ! Natalie, oui, certaines femmes partagent ici-bas les privilèges des Esprits Angéliques, et répandent comme eux cette lumière que Saint-Martin, le Philosophe Inconnu, disait être intelligente, mélodieuse et parfumée. Sûre de ma discrétion, Henriette se plut à me relever le pesant rideau qui nous cachait l’avenir, en me laissant voir en elle deux femmes : la femme enchaînée qui m’avait séduit malgré ses rudesses, et la femme libre dont la douceur devait éterniser mon amour. Quelle différence ! madame de Mortsauf était le bengali transporté dans la froide Europe, tristement posé sur son bâton, muet et mourant dans sa cage où le garde un naturaliste ; Henriette était l’oiseau chantant ses poèmes orientaux dans son bocage au bord du Gange, et comme une pierrerie vivante, volant de branche en branche parmi les roses d’un immense volkaméria toujours fleuri. Sa beauté se fit plus belle, son esprit se raviva. Ce continuel fou de joie était un secret entre nos deux esprits, car l’œil de l’abbé de Dominis, ce représentant du monde, était plus redoutable pour Henriette que celui de monsieur de Mortsauf ; mais elle prenait comme moi grand plaisir à donner à sa pensée des tours ingénieux ; elle cachait son contentement sous la plaisanterie, et couvrait d’ailleurs les témoignages de sa tendresse du brillant pavillon de la reconnaissance.

— Nous avons mis votre amitié à de rudes épreuves, Félix ! Nous pouvons bien lui permettre les licences que nous permettons à Jacques, monsieur l’abbé ? disait-elle à table.

Le sévère abbé répondait par l’aimable sourire de l’homme pieux qui lit dans les cœurs et les trouve purs ; il exprimait d’ailleurs pour la comtesse le respect mélangé d’adoration qu’inspirent les anges. Deux fois, en ces cinquante jours, la comtesse s’avança peut-être au delà des bornes dans lesquelles se renfermait notre affection ; mais encore ces deux événements furent-ils enveloppés d’un voile qui ne se leva qu’au jour des aveux suprêmes. Un matin, dans les premiers jour de la maladie du comte, au moment où elle se repentit de m’avoir traité si sévèrement en me retirant les innocents priviléges accordés à ma chaste tendresse, je l’attendais, elle devait me remplacer. Trop fatigué, je m’étais endormi, la tête ap-