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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

d’étonnement. L’expression de cette parole était de nature lui faire soupçonner quelque forfait manqué. Il promit de revenir deux fois par semaine, indiqua la marche à tenir à monsieur Deslandes et désigna les symptômes menaçants qui pouvaient exiger qu’on vînt le chercher à Tours. Afin de procurer à la comtesse au moins une nuit de sommeil sur deux, je lui demandai de me laisser veiller le comte alternativement avec elle. Ainsi je la décidai, non sans peine à s’aller coucher la troisième nuit. Quand tout reposa dans la maison, pendant un moment où le comte s’assoupit j’entendis chez Henriette un douloureux gémissement. Mon inquiétude devint si vive que j’allai la trouver ; elle était à genoux devant son prie-Dieu, fondant en larmes, et s’accusait : — Mon Dieu si tel est le prix d’un murmure, criait-elle je ne me plaindrai jamais.

— Vous l’avez quitté ! dit-elle en me voyant.

— Je vous entendais pleurer et gémir, j’ai eu peur pour vous.

— Oh ! moi, dit-elle, je me porte bien !

Elle voulut être certaine que monsieur de Mortsauf dormît ; nous descendîmes tous deux, et tous deux à la clarté d’une lampe nous le regardâmes : le comte était plus affaibli par la perte du sang tiré à flots qu’il n’était endormi ; ses mains agitées cherchaient à ramener sa couverture sur lui.

— On prétend que c’est des gestes de mourants, dit-elle. Ah ! s’il mourait de cette maladie que nous avons causée, je ne me marierais jamais, je le jure, ajouta-t-elle en étendant la main sur la tête du comte par un geste solennel.

— J’ai tout fait pour le sauver, lui dis-je.

— Oh ! vous, vous êtes bon, dit-elle. Mais moi, je suis la grande coupable.

Elle se pencha sur ce front décomposé, en balaya la sueur avec ses cheveux, et la baisa saintement ; mais je ne vis pas avec une joie secrète qu’elle s’acquittait de cette caresse comme d’une expiation.

— Blanche, à boire, dit le comte d’une voix éteinte.

— Vous voyez, il ne connaît que moi, me dit-elle en lui apportant un verre.

Et par son accent, par ses manières affectueuses, elle cherchait à insulter aux sentiments qui nous liaient, en les immolant au malade.