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LE LYS DE LA VALLÉE.

norés essaient de faire jaillir sur les plus nobles personnes la boue dans laquelle ils se noient. Mais vous pouvez toujours vous faire respecter en vous montrant dans toutes les sphères implacable dans vos dernières déterminations. Dans ce conflit d’ambitions, au milieu de ces difficultés entrecroisées, allez toujours droit au fait, marchez résolument à la question, et ne vous battez jamais que sur un point, avec toutes vos forces. Vous savez combien monsieur de Mortsauf haïssait Napoléon, il le poursuivait de sa malédiction, il veillait sur lui comme la justice sur le criminel, il lui redemandait tous les soirs le duc d’Enghien, la seule infortune, seule mort qui lui ait fait verser des larmes ; eh ! bien, il l’admirait comme le plus hardi des capitaines, il m’en a souvent expliqué la tactique. Cette stratégie ne peut-elle donc s’appliquer dans la guerre des intérêts ? elle y économiserait le temps comme l’autre économisait les hommes et l’espace ; songez à ceci, car une femme se trompe souvent en ces choses que nous jugeons par instinct et par sentiment. Je puis insister sur un point : toute finesse, toute tromperie est découverte et finit par nuire, tandis que toute situation me paraît être moins dangereuse quand un homme se place sur le terrain de la franchise. Si je pouvais citer mon exemple, je vous dirais qu’à Clochegourde, forcée par le caractère de monsieur de Mortsauf à prévenir tout litige, à faire arbitrer immédiatement les contestations qui seraient pour lui comme une maladie dans laquelle il se complairait en y succombant, j’ai toujours tout terminé moi-même en allant droit au nœud et disant à l’adversaire : Dénouons, ou coupons ? Il vous arrivera souvent d’être utile aux autres, de leur rendre service, et vous en serez peu récompensé ; mais n’imitez pas ceux qui se plaignent des hommes et se vantent de ne trouver que des ingrats. N’est-ce pas se mettre sur un piédestal ? puis n’est-il pas un peu niais d’avouer son peu de connaissance du monde ? Mais ferez-vous le bien comme un usurier prête son argent ? Ne le ferez-vous pas pour le bien en lui-même ? Noblesse oblige ! Néanmoins ne rendez pas de tels services que vous forciez les gens à l’ingratitude, car ceux-là deviendraient pour vous d’irréconciliables ennemis : il y a le désespoir de l’obligation, comme le désespoir de la ruine, qui prête des forces incalculables. Quant à vous, acceptez le moins que vous pourrez des autres. Ne soyez le vassal d’aucune âme, ne relevez que de vous-même. Je ne vous donne d’avis,