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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

première et sublime erreur de la jeunesse qui trouve un contentement réel à déployer ses forces et commence ainsi par être la dupe d’elle-même avant d’être celle d’autrui, gardez-le pour vos sentiments partagés, gardez-le pour la femme et pour Dieu. N’apportez ni au bazar du monde ni aux spéculations de la politique des trésors en échange desquels ils vous rendront des verroteries. Vous devez croire la voix qui vous commande la noblesse en toute chose, alors qu’elle vous supplie de ne pas vous prodiguer inutilement ; car malheureusement les hommes vous estiment en raison de votre utilité, sans tenir compte de votre valeur. Pour employer une image qui se grave en votre esprit poétique, que le chiffre soit d’une grandeur démesurée, tracé en or, écrit au crayon, ce ne sera jamais qu’un chiffre. Comme l’a dit un homme de cette époque : « n’ayez jamais de zèle ! » ! Le zèle effleure la duperie, il cause des mécomptes ; vous ne trouveriez jamais au-dessus de vous une chaleur en harmonie avec la vôtre : les rois comme les femmes croient que tout leur est dû. Quelque triste que soit ce principe, il est vrai, mais ne déflore point l’âme. Placez vos sentiments purs en des lieux inaccessibles où leurs fleurs soient passionnément admirées, l’artiste rêvera presque amoureusement au chef-d’œuvre. Les devoirs, mon ami, ne sont pas des sentiments. Faire ce qu’on doit n’est pas faire ce qui plaît. Un homme doit aller mourir froidement pour son pays et peut donner avec bonheur sa vie à une femme. Une des règles les plus importantes de la science des manières, est un silence presque absolu sur vous-même. Donnez-vous la comédie, quelque jour, de parler de vous-même à des gens de simple connaissance ; entretenez-les de vos souffrances, de vos plaisirs ou de vos affaires ; vous verrez l’indifférence succédant à l’intérêt joué ; puis, l’ennui venu, si la maîtresse du logis ne vous interrompt poliment, chacun s’éloignera sous des prétextes habilement saisis. Mais voulez-vous grouper autour de vous toutes les sympathies, passer pour un homme aimable et spirituel, d’un commerce sûr ? entretenez-les d’eux-mêmes, cherchez un moyen de les mettre en scène, même en soulevant des questions en apparence inconciliables avec les individus ; les fronts s’animeront, les bouches vous souriront, et quand vous serez parti chacun fera votre éloge. Votre conscience et la voix du cœur vous diront la limite où commence la lâcheté des flatteries, où finit la grâce de la conversation. En-