Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sement Suzanne, qu’en venant vous trouver j’ai rempli mon devoir ; souvenez-vous que j’ai dû vous offrir ma main et vous demander la vôtre ; mais souvenez-vous aussi que j’ai mis dans ma conduite la dignité de la femme qui se respecte, que je ne me suis pas abaissée à pleurer comme une niaise, que je n’ai pas insisté, que je ne vous ai point tourmenté. Maintenant vous connaissez ma situation. Vous savez que je ne puis rester à Alençon : ma mère me battra, madame Lardot est à cheval sur les principes comme si elle en repassait ; elle me chassera. Pauvre ouvrière que je suis, irai-je à l’hôpital, irai-je mendier mon pain ? Non ! je me jetterais plutôt dans la Brillante ou dans la Sarthe. Mais n’est-il pas plus simple que j’aille à Paris ? Ma mère pourra trouver un prétexte pour m’y envoyer : ce sera un oncle qui me demande, une tante en train de mourir, une dame qui me voudra du bien. Il ne s’agit que d’avoir l’argent nécessaire au voyage et à tout ce que vous savez…

Cette nouvelle avait pour du Bousquier mille fois plus d’importance que pour le chevalier de Valois ; mais lui seul et le chevalier étaient dans ce secret qui ne sera dévoilé que par le dénouement de cette histoire. Pour le moment, il suffit de dire que le mensonge de Suzanne introduisait une si grande confusion dans les idées du vieux garçon qu’il était incapable de faire une réflexion sérieuse. Sans ce trouble et sans sa joie intérieure, car l’amour-propre est un escroc qui ne manque jamais sa dupe, il aurait pensé qu’une honnête fille comme Suzanne, dont le cœur n’était pas encore gâté, serait morte cent fois avant d’entamer une discussion de ce genre, et de lui demander de l’argent. Il aurait reconnu dans le regard de la grisette la cruelle lâcheté du joueur qui assassinerait pour se faire une mise.

— Tu irais donc à Paris ? dit-il.

En entendant cette phrase, Suzanne eut un éclair de gaieté qui dora ses yeux gris mais l’heureux du Bousquier ne vit rien.

— Mais oui, monsieur !

Du Bousquier commença d’étranges doléances : il venait de faire le dernier payement de sa maison, il avait à satisfaire le peintre, le maçon, le menuisier ; mais Suzanne le laissait aller, elle attendait le chiffre. Du Bousquier offrit cent écus. Suzanne fit ce qu’on nomme en style de coulisse une fausse sortie, elle se dirigea vers la porte.

— Eh ! bien, où vas-tu ? dit du Bousquier inquiet. Voilà la belle vie de garçon, se dit-il. Je veux que le diable m’emporte si je me