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LE LYS DE LA VALLÉE.

en l’absence des Chessel j’aurais l’envie de voir la vallée de l’Indre. Nous nous séparâmes héroïquement, sans larmes apparentes ; mais, comme quelques enfants maladifs, Jacques eut un mouvement de sensibilité qui lui fit répandre quelques larmes, tandis que Madeleine, déjà femme, serrait la main de sa mère.

— Cher petit ! dit la comtesse en baisant Jacques avec passion.

Quand je me trouvai seul à Tours, il me prit après le dîner une de ces rages inexpliquées que l’on n’éprouve qu’au jeune âge. Je louai un cheval et franchis en cinq quarts d’heure la distance entre Tours et Pont-de-Ruan. Là, honteux de montrer ma folie, je courus à pied dans le chemin, et j’arrivai comme un espion, à pas de loup, sous la terrasse. La comtesse n’y était pas, j’imaginai qu’elle souffrait ; j’avais gardé la clef de la petite porte, j’entrai ; elle descendait en ce moment le perron avec ses deux enfants pour venir respirer, triste et lente, la douce mélancolie empreinte sur ce paysage, au coucher du soleil.

— Ma mère, voilà Félix, dit Madeleine.

— Oui, moi, lui dis-je à l’oreille. Je me suis demandé pourquoi j’étais à Tours, quand il m’était encore facile de vous voir. Pourquoi ne pas accomplir un désir que dans huit jours je ne pourrai plus réaliser ?

— Il ne nous quitte pas, ma mère, cria Jacques en sautant à plusieurs reprises.

— Tais-toi donc, dit Madeleine, tu vas attirer ici le général.

— Ceci n’est pas sage, reprit-elle, quelle folie !

Cette consonance dite dans les larmes par sa voix, quel paiement de ce qu’on devrait appeler les calculs usuraires de l’amour !

— J’avais oublié de vous rendre cette clef, lui dis-je en souriant.

— Vous ne reviendrez donc plus ? dit-elle.

— Est-ce que nous nous quittons ? demandai-je en lui jetant un regard qui lui fit abaisser ses paupières pour voiler sa muette réponse.

Je partis après quelques moments passés dans une de ces heureuses stupeurs des âmes arrivées là où finit l’exaltation et où commence la folle extase. Je m’en allai d’un pas lent, en me retournant sans cesse. Quand au sommet du plateau je contemplai la vallée une dernière fois, je fus saisi du contraste qu’elle m’offrit en la comparant à ce qu’elle était quand j’y vins : ne verdoyait-elle