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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

la première grande fête de sa maternité. Jacques avait une collerette brodée par sa mère, une petite redingote en drap bleu de ciel serrée par une ceinture de cuir verni, un pantalon blanc à plis et une toque écossaise d’où ses cheveux cendrés s’échappaient en grosses boucles : il était ravissant à voir. Aussi tous les gens de la maison se groupèrent-ils en partageant cette félicité domestique. Le jeune héritier souriait à sa mère en passant, et se tenait sans peur. Ce premier acte d’homme chez cet enfant de qui la mort parut si souvent prochaine, l’espérance d’un bel avenir, garanti par cette promenade qui le lui montrait si beau, si joli, si frais, quelle délicieuse récompense ! la joie du père, qui redevenait jeune et souriait pour la première fois depuis long-temps, le bonheur peint dans les yeux de tous les gens de la maison, le cri d’un vieux piqueur de Lenoncourt qui revenait de Tours, et qui, voyant la manière dont l’enfant tenait la bride, lui dit : — « Bravo, monsieur le vicomte ! » c’en fut trop, madame de Mortsauf fondit en larmes. Elle, si calme dans ses douleurs, se trouva faible pour supporter la joie en admirant son enfant chevauchant sur ce sable où souvent elle l’avait pleuré par avance, en le promenant au soleil. En ce moment elle s’appuya sur mon bras, sans remords, et me dit : — Je crois n’avoir jamais souffert. Ne nous quittez pas aujourd’hui.

La leçon finie, Jacques se jeta dans les bras de sa mère qui le reçut et le garda sur elle avec la force que prête l’excès des voluptés, et ce fut des baisers, des caresses sans fin. J’allai faire avec Madeleine deux bouquets magnifiques pour en décorer la table en l’honneur du cavalier. Quand nous revînmes au salon, la comtesse me dit : — Le quinze octobre sera certes un grand jour ! Jacques a pris sa première leçon d’équitation, et je viens de faire le dernier point de mon meuble.

— Hé ! bien, Blanche, dit le comte en riant, je veux vous le payer.

Il lui offrit le bras, et l’amena dans la première cour où elle vit une calèche que son père lui donnait, et pour laquelle le comte avait acheté deux chevaux en Angleterre, amenés avec ceux du duc de Lenoncourt. Le vieux piqueur avait tout préparé dans la première cour pendant la leçon. Nous entraînâmes la voiture, en allant voir le tracé de l’avenue qui devait mener en droite ligne de Clochegourde à la route de Chinon, et que les récentes acquisitions