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LE LYS DE LA VALLÉE.

le chemin couraient après des insectes, des cerfs-volants, des couturières, et faisaient aussi leurs bouquets, ou, pour être exact, leurs bottes de fleurs. Se promener avec la femme qu’on aime, lui donner le bras, lui choisir son chemin ! ces joies illimitées suffisent à une vie. Le discours est alors si confiant ! Nous allions seuls, nous revenions avec le général, surnom de raillerie douce que nous donnions au comte quand il était de bonne humeur. Ces deux manières de faire la route nuançaient notre plaisir par des oppositions dont le secret n’est connu que des cœurs gênés dans leur union. Au retour, les mêmes félicités, un regard, un serrement de main, étaient entremêlés d’inquiétudes. La parole, si libre pendant l’aller, avait au retour de mystérieuses significations, quand l’un de nous trouvait, après quelque intervalle, une réponse à des interrogations insidieuses, ou qu’une discussion commencée se continuait sous ces formes énigmatiques auxquelles se prête si bien notre langue et que créent si ingénieusement les femmes. Qui n’a goûté le plaisir de s’entendre ainsi comme dans une sphère inconnue où les esprits se séparent de la foule et s’unissent en trompant les lois vulgaires ? Un jour j’eus un fol espoir promptement dissipé quand, à une demande du comte, qui voulait savoir de quoi nous parlions, Henriette répondit par une phrase à double sens dont il se paya. Cette innocente raillerie amusa Madeleine et fit après coup rougir sa mère, qui m’apprit par un regard sévère qu’elle pouvait me retirer son âme comme elle n’avait naguère retiré sa main, voulant demeurer une irréprochable épouse. Mais cette union purement spirituelle a tant d’attraits que le lendemain nous recommençâmes.

Les heures, les journées, les semaines, s’enfuyaient ainsi pleines de félicités renaissantes. Nous arrivâmes à l’époque des vendanges, qui sont en Touraine de véritables fêtes. Vers la fin du mois de septembre, le soleil, moins chaud que durant la moisson, permet de demeurer aux champs sans avoir à craindre ni le hâle ni la fatigue. Il est plus facile de cueillir les grappes que de scier les blés. Les fruits sont tous mûrs. La moisson est faite, le pain devient moins cher, et cette abondance rend la vie heureuse. Enfin les craintes qu’inspirait le résultat des travaux champêtres où s’enfouit autant d’argent que de sueurs, ont disparu devant la grange pleine et les celliers prêts à s’emplir. La vendange est alors comme le joyeux dessert du festin récolté, le ciel y sourit toujours en Touraine, où les automnes sont magnifiques. Dans ce pays hospitalier, les ven-