Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
307
LE LYS DE LA VALLÉE.

je ne sais quel contentement égoïste en voyant que vous l’amusiez : n’est-ce pas la maternité pure ? Ma confession ne vous a-t-elle donc pas assez montré les trois enfants auxquels je ne dois jamais faillir, sur lesquels je dois faire pleuvoir une rosée réparatrice, et faire rayonner mon âme sans en laisser adultérer la moindre parcelle ? N’aigrissez pas le lait d’une mère ! Quoique l’épouse soit invulnérable en moi, ne me parlez donc plus ainsi. Si vous ne respectiez pas cette défense si simple, je vous en préviens, l’entrée de cette maison vous serait à jamais fermée. Je croyais à de pures amitiés, à des fraternités volontaires, plus certaines que ne le sont les fraternités imposées. Erreur ! Je voulais un ami qui ne fût pas un juge, un ami pour m’écouter en ces moments de faiblesse où la voix qui gronde est une voix meurtrière, un ami saint avec qui je n’eusse rien à craindre. La jeunesse est noble, sans mensonges ; capable de sacrifices, désintéressée : en voyant votre persistance, j’ai cru, je l’avoue, à quelque dessein du ciel ; j’ai cru que j’aurais une âme qui serait à moi seule comme un prêtre est à tous, un cœur où je pourrais épancher mes douleurs quand elles surabondent, crier quand mes cris sont irrésistibles et m’étoufferaient si je continuais à les dévorer. Ainsi mon existence, si précieuse à ces enfants, aurait pu se prolonger jusqu’au jour où Jacques serait devenu homme. Mais n’est-ce pas être trop égoïste ? La Laure de Pétrarque peut-elle se recommencer ? Je me suis trompée, Dieu ne le veut pas. Il faudra mourir à mon poste, comme le soldat sans ami. Mon confesseur est rude, austère ; et… ma tante n’est plus !

Deux grosses larmes éclairées par un rayon de lune sortirent de ses yeux, roulèrent sur ses joues, en atteignirent le bas ; mais je tendis la main assez à temps pour les recevoir, et les bus avec une avidité pieuse qu’excitèrent ces paroles déjà signées par dix ans de larmes secrètes, de sensibilité dépensée, de soins constants, d’alarmes perpétuelles, l’héroïsme le plus élevé de votre sexe ! Elle me regarda d’un air doucement stupide.

— Voici, lui dis-je, la première, la sainte communion de l’amour. Oui, je viens de participer à vos douleurs, de m’unir à votre âme, comme nous nous unissons au Christ en buvant sa divine substance. Aimer sans espoir est encore un bonheur. Ah ! quelle femme sur la terre pourrait me causer une joie aussi grande que celle d’avoir aspiré ces larmes ! J’accepte ce contrat qui doit se